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Courrier des théâtres

Le Figaro – Jeudi 27 septembre 1866

Avez-vous réfléchi, quelquefois, aux conséquences de la liberté des théâtres ?

Pour moi, – j’y songeais, hier, en lisant la liste assez longue des pièces qu’on nous promet pour cet hiver.

Pendant dix ans, peut-être, les critiques, petits et grands, – et les auteurs avec eux – ne faisaient que réclamer cette liberté précieuse.

Il semblait que son ajournement, seul, empêchât de nouveaux talents de se produire.

– Ah ! – vous verrez, – disait-on, – quand nous aurons la liberté des théâtres ! – Que de génies vont sortir de terre ! que d’inconnus plein d’esprit vont surgir !

Les inconnus – les voilà : – permettez-moi de vous les présenter.

En première ligne nous avons le jeune maestro Offenbach.

Ce compositeur, totalement ignoré jusqu’à ce jour, a débuté dans un boui-boui situé passage Choiseul.

On dit, mais je n’en répondrais pas, – qu’il appartient à l’école de Richard Wagner.

Sa dernière œuvre : Barbe-Bleue l’a fait remarquer de tous les connaisseurs.

Il ne serait arrivé à rien – cependant – si un bienfaisant décret, donnant toute liberté aux directeurs, n’avait permis au maestro de se produire.

Jacques Offenbach a aujourd’hui trois pièces reçues dans différents théâtres.

La Vie Parisienne au Palais-Royal.

Aroun-al-Rachid au Châtelet.

Les amours de Louis XV aux Variétés.

On espère que ces différentes œuvres le feront connaître.

Après lui nous avons ses collaborateurs, Meilhac et L. Halévy – presque des enfants – qui ont écrit : la Belle Hélène sur les bancs du collège.

Ces Siamois de la collaboration marcheraient aujourd’hui à la tête de cette pléiade d’auteurs – éclose aux premiers rayons du soleil de la liberté – si un adolescent du nom de Sardou – ne s’annonçait déjà comme leur devant être supérieur.

Sardou doit faire ses premières armes cet hiver.

Le Gymnase va jouer une comédie de lui, le Vaudeville un drame.

Vous voyez que les jeunes ne craignent pas de se produire sur les grands théâtres.

Après Offenbach, Meilhac, L. Halévy et Sardou – nous n’avons plus guère en fait de débutants – qu’Emile Augier et Ponsard.

M. Augier obtint quelque succès, autrefois. avec maître Guérin. Quant à Ponsard, trop jeune pour être en pleine possession de son talent, il faut attendre, pour le juger, qu’il ait terminé sa classe de rhétorique.

J’ai été, autrefois, un des premiers à applaudir au décret qui nous accordait la liberté des théâtres.

Aujourd’hui, – je l’avoue, – une crainte me saisit. J’ai peur que les inconnus ne s’emparent successivement de toutes les scènes, et que les auteurs arrivés ne puissent plus être joués nulle part.

Ainsi, – cette année – (nous récapitulons) : – Le Gymnase et le Vaudeville seront pris par Sardou ; – les Variétés, le Châtelet et le Palais-Royal par Offenbach ; – la Gaité et l’Ambigu par Dennery (encore un jeune !). – Pour peu qu’Augier et Dumas fils donnent chacun une pièce – (ce dont je ne me plaindrais pas d’ailleurs), – je me demande où les gens qui jouissent de quelque réputation pourront se faire entendre ?

Jules Guinot.

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