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À travers l’éloge et la critique

Le Figaro – Dimanche 15 juillet 1855

Douzième étape

LES BOUFFES PARISIENS

Il y a une tendance marquée à revenir au genre de musique et de spectacle importé d’Italie, et qui fut, en s’acclimatant aux foires Saint-Germain et Saint-Laurent, le premier nid où gazouilla l’opéra-comique, en France. Cette réaction doit être accueillie avec joie, car elle est pour l’art, qu’elle rend accessible à tous, un signe de popularité et non de décadence. Du moment que le théâtre parcourt un immense clavier, qui embrasse la Comédie-Française et le Palais-Royal, en passant par le Gymnase, pourquoi la musique, en grande dame qui craindrait de chiffonner ses falbalas, se condamnerait-elle à rester dans l’aristocratique région de l’Opéra et de l’Opéra-Comique Pourquoi n’aurait-elle pas son Palais-Royal où elle peut chanter, gambader et amuser sans prétention ?

La vogue des Cafés-Concerts est d’ailleurs un symptôme et un enseignement. Si la foule s’y précipite avec cette ardeur, c’est qu’elle ne rencontre pas autre part le genre plus modeste qui va à son tempérament et n’excède pas la mesure de son attention. Nos deux théâtres lyriques sont pour elle deux grands fleuves trop profonds et trop bruyants elle cherche un petit ruisseau, et ne le trouvant pas, elle se jette dans un égoût.

A peine ouvert, le théâtre des Bouffes-Parisiens est déjà populaire, et voilà justement ce qui me donne raison. Sans aucun doute, l’heureuse composition du spectacle et le mérite des principaux artistes ont décidé de sa réussite mais croyez bien que le genre que va exploiter Offenbach, par la variété qu’il comporte et le peu d’ambition qu’il affiche, est une cause préexistante de succès.

JACQUES OFFENBACH

Mais puisque j’ai prononcé le nom de Jacques Offenbach, je dois commencer par reconnaître que le compositeur-impresario est la cheville ouvrière des Bouffes-Parisiens. Je ne sais si l’on ne doit pas féliciter l’infatigable maestro des difficultés qu’il a éprouvées jusqu’ici à se produire sur d’autres scènes. Il a non-seulement trouvé dans son théâtre un débouché à sa facilité merveilleuse, mais de plus, il y a rencontré le milieu où va se mouvoir son originalité. Paris regorge de musiciens profonds, savants, élégiaques et spirituels : il n’avait pas un seul compositeur bouffe : il en possède un aujourd’hui, et la denrée est assez rare, puisque l’Italie n’en fournit plus, – pour qu’il doive sincèrement s’en réjouir. Assurément, Pradeau et Berthellier sont étourdissants de folie dans la scène des Deux Aveugles ; – mais croyez bien que l’immense éclat de rire qu’ils provoquent, a sa raison d’être dans les entrailles de la musique qu’ils interprètent avec tant de bonheur. Ils sont la pierre et le briquet, et ils frappent à coups redoublés ; mais l’étincelle qui fait pétiller leur verve, c’est la musique d’Offenbach. Je n’ai pas besoin de vous vanter le bolero il est bissé chaque soir, et sa popularité ne s’arrêtera pas là ce boléro a un peu effacé le premier duo des Aveugles, qui est pourtant une de ces folies musicales dont le secret semblait perdu en France, où l’on ne sait plus rire, et qu’Offenbach n’eût peut-être pas osé risquer sur une autre scène. A l’Opéra Comique et au Théâtre-Lyrique, le compositeur se fût surveillé et il n’eût été qu’un homme de talent… comme tout le monde aux Bouffes, il a osé être lui-même, sans souci du qu’en dira-t-on de la critique, et cette audace l’a bien servi il a improvisé sa musique et sa réputation.

Cela ne veut pas dire assurément qu’Offenbach ne saurait faire vibrer, au besoin, la note qui va au cœur. Il y a, au contraire, dans le trio final de la Nuit blanche, une phrase admirablement dite, par Darcier, cette phrase, empreinte d’une ineffable tendresse, circule, sans rien perdre de son caractère, à travers le ton joyeux du morceau.

La première qualité de l’ancienne école Italienne était le far presto, avec cette distinction importante que, chez elle, faire vite, c’était faire bien. L’Allemand Offenbach est un disciple de cette école ; il sait et il improvise ; sa facilité se joue, du temps et respecte l’art ; il a la souplesse du talent, il en a aussi l’abondance ; il ne choisit pas toujours ses mélodies : il préfère les cueillir à pleines mains, et comme il a la main heureuse, il rencontre, en définitive, plus de fleurs que d’herbes parasites.

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La troupe des Bouffes-Parisiens compte, avec quelques artistes connus et appréciés : – mademoiselle Macé, du Gymnase, le chanteur Darcier, le polichinelle Derruder, – plusieurs talents que le succès du premier soir a révélés au public, entr’autres, les deux comiques Pradeau et Berthellier.

Mademoiselle Macé, qui joue avec sensibilité la jeune mariée de la Nuit blanche, est tour à tour, dans le prologue, une charmante fantaisie et le plus espiègle des titis parisiens ; elle récite fort bien les jolis vers, de Méry que Figaro a publiés en partie, et dit avec beaucoup d’esprit et de finesse des couplets de facture, sur un air nouveau d’Offenbach, destiné à la popularité du bal et du piano. Pradeau, qui partage avec son camarade Berthellier le succès de fou rire de la scène des Deux Aveugles, représente, dans ce prologue, la figure historique de Bilboquet. Il en a le faciès, le sourire goguenard, il en ressuscite quelques unes de ses intonations célèbres, que la postérité a recueillies respectueusement de la diction du maître, Odry-le-Grand. N’oublions pas, un des artistes engagés par Bilboquet, le classique Polichinelle, – si admirablement rendu par un jeune artiste du nom de Derruder, qu’on se demande si c’est là un homme ou un pantin. On se frotte les yeux, on cherche les fils qui font mouvoir la marionnette l’imitation ne saurait aller plus loin, l’illusion est complète avec sa désinvolture de poses, de mouvements, de danse disloquée et son rire de fer blanc, c’est bien la métamorphose de l’homme changé en bois. Après avoir salué du bout de ma plume la senora Mariquitta et ses deux compagnes, les danseuses Danoises, permettez-moi de finir par un rapide crayon de la figure d’une véritable artiste. (…)

B. Jouvin.

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