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La Soirée Théâtrale – Première de la Vie Parisienne

Le Figaro – Samedi 27 septembre 1873

La vie parisienne ! Que de souvenirs évoque ce titre d’une opérette à succès ! Et combien peu il ressemblait au Paris d’aujourd’hui, ce Paris frivole et blagueur qui fredonnait : « Je suis veuve d’un colonel ! » et trouvait que cette folle chanson était un vrai chef-d’œuvre.

Ah ! que nous voilà loin de la corruption du dernier régime. Quel spectacle consolant nous offrait hier soir la salle des Variétés !

Il a suffi de trois ans de République pour purifier – et à jamais, espérons-le – ce tout Paris qui, il y a si peu de temps, ressemblait presque aux caricatures de Meilhac et Halévy.

Certes, j’en conviens, il y avait des demi-mondaines à cette reprise de la Vie parisienne, mais ce n’étaient plus les demi-mondaines d’autrefois. Elles étaient simplement mises, presque toutes en noir, et avaient je ne sais quel air réfléchi et quasi-honnête qui m’est allé droit au cœur.

Mademoiselle Blanche d’Antigny avait, comme toujours, d’énormes diamants du Cap aux oreilles, mais ce n’était pas pour les montrer qu’elle était là, c’était pour la musique d’Offenbach. Blanche va maintenant aux théâtres d’opérette comme les élèves du Conservatoire vont aux Français.

Mademoiselle Schneider se dissimulait dans une avant-scène ; les sœurs Demay étaient modestement au balcon ; mademoiselle Buisseret rougissait aux passages lestes, et on s’écriait en la lorgnant :

– Un vrai buisseret d’écrevisses !

Les charmantes sœurs Drouard baissaient les yeux chaque fois qu’on les lorgnait avec trop de persistance. Et ainsi pour toutes. O République ! Voilà bien de tes coups !

On se rappelle l’immense succès qu’obtint la Vie parisienne le soir de la première au Palais-Royal.

Et cependant les directeurs, de ce théâtre ne comptaient pas sur cette pièce. Elle leur avait même paru si décousue, aux répétitions, si insensée et, disons-le, si mauvaise, qu’ils avaient offert une forte indemnité aux auteurs s’ils consentaient à retirer leur opérette.

MM. Meilhac et Halévy avaient fini par penser, comme les directeurs, qu’ils avaient fait une pièce détestable. Ils étaient navrés. Les acteurs faisaient un nez !… Celui d’Hyacinthe s’allongeait quotidiennement de plusieurs centimètres. Offenbach seul restait confiant.

– Ça, disait-il, ce sera un des plus grands succès du théâtre !

Et sa prophétie se réalisa.

Du reste, en voyant qu’on répétait la pièce à contre-coeur, Offenbach avait recommandé à mademoiselle Zulma Bouffar de ne chanter ses morceaux à effet que le soir de la répétition générale. Ainsi la tyrolienne du deuxième acte était inconnue des directeurs, des artistes et même des musiciens. Le succès de la chanteuse fut une surprise comme le succès de la pièce au théâtre, on n’avait pas cru davantage à l’un qu’à l’autre.

A côté de Zulma Bouffar, qui est la fauvette de la pièce, et dont le dernier costume a été dessiné par le fils de Mélingue, M. Gaston Mélingue, un peintre de talent, mademoiselle Devéria a été chargée par la direction de personnifier l’élément ultra-élégant.

La débutante réservait une surprise à ceux qui avaient admiré dans les Turcs sa plastique irréprochable et ses contours pleins d’une savoureuse abondance.

Est-ce la conséquence de la maladie qui l’a dernièrement éloignée de la scène au moment de créer la Veuve du Malabar ? Est-ce parti pris de marcher sur les trace de Blanche Pierson ? mademoiselle Devéria a maigri, maigri de façon à inquiéter Sarah Bernhardt elle-même !

Ses toilettes – il m’est interdit de parler d’autre chose – ses toilettes ont fait sensation au balcon et dans les loges.

Peut-être mes lectrices me sauront-elles gré de les noter ici à leur intention :

1er acte. – Toilette de voyage en drap satin et faille gris. Jupe de dessous brodée, tunique « shah-de Perse » ouverte devant,
brodée d’acier sur les côtés. Chapeau également « shah de Perse. » moins les diamants.

2e acte. – Toilette de ville velours « fraise écrasée » et faille nuance analogue mais plus claire, arrivant jusqu’au rose tendre. Corsage en velours sans aucune garniture, peut-être un peu sévère, mais relevé par des boutons de diamants. Chapeau même nuancé, forme kakochnick, en souvenir de la Russie.

Quant au costume du 4e acte, je renonce à vous en donner une idée. C’est un fouillis indescriptible, mademoiselle Devéria a été baptisée « Messagère du soir » à cause des deux ailes que, comme Mercure, elle porte sur la tête.

Le couple Dupuis et Grandville – je veux dire le baron et la baronne de Gondremark – se distingue aussi par son élégance. Le baron surtout porte, au troisième acte, un costume de soirée qui a rempli de joie tous les gilets à cœur de l’orchestre. Heureuse baronne ! Quel joli baron vous avez là et que vous en paraissez fière, madame !

Ce n’est pas pour le baron de Gondremark seulement que la vie parisienne est un sujet à surprise.

Hier, pas plus tard qu’hier, un Parisien pur sang demande à une marchande de journaux un journal orléaniste.

La marchande, sans hésitation, lui donne les Débats.

Mon Parisien l’ouvre, lit le Premier-Paris et pousse un rugissement :

– C’est indigne, madame, dit-il en retournant vers la marchande, je vous demande un journal orléaniste et vous me donnez celui-ci qui est républicain.

La marchande regarde le numéro, et se confondant en excuses :

– Pardonnez-moi, monsieur, dit-elle, je vous avais par erreur, donné le numéro d’hier !

UN MONSIEUR DE L’ORCHESTRE.

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