Par date

Chronique musicale

Le Figaro – Mardi 2 décembre 1873

RENAISSANCE : la Jolie Parfumeuse, trois actes de MM. Hector Crémieux et Blum, musique de M. Qffenbach. – GAÎTÉ : Un mot encore sur la Jeanne d’Arc de Charles Gounod.

Qui n’a lu le petit chef-d’œuvre de La Fontaine : la Fiancée du roi de Garbe ? L’histoire de Rose Michon, la jolie parfumeuse de la rue Tiquetonne, rappelle l’odyssée de la belle Alaciel : c’est comme le
premier un voyage accidenté à travers la vertu et les tentations d’une jeune mariée. Il y a toutefois une différence (n’y en a-t-il vraiment qu’une ?). La fille du soudan d’Alexandrie fit huit étapes très aventurées avant de poser ses petites babouches sur le seuil du palais de son royal fiancé. La vertu de Rose ne devait pas faire, à beaucoup près, autant de chemin. Rose Michon quittera le cabaret des Porcherons à onze heures sonnant et, égarée par un séducteur ridicule, elle passera sa nuit de noces dans la petite maison du
financier La Cocardière ; mais elle n’entamera pas pour cela de l’épaisseur d’un cheveu son serment de fidélité ; elle en sera quitte pour tromper l’infortuné, l’heureux Bavelet… avec Bavolet lui-même.

Ce sujet croustillant a été très adroitement gazé et adouci pour la scène, et il n’a rien perdu de sa vivacité. Le mari pourra y conduire sa femme. La Jolie parfumeuse est un tableau populaire et grivois des
mœurs du dix-huitième siècle, avec un trait de caricature, cela va sans dire. Il y a là-dedans du pastel et de l’estampe enluminée de cabaret. Les auteurs ont laissé de côté pour cette fois les tics un peu
émoussés de l’opérette, et ils ont eu raison. Ils ont voulu être gais sans prétention ; et ils y ont réussi. N’y cherchez pas la petite
bête
, et vous y trouverez la franche drôlerie.

M. Jacques Offenbach a fait tenir toute une partition d’opéra dans le cadre élastique de l’opérette de la Belle [1] Parfumeuse. Le compositeur n’a point affiché pour cela une ambition qui eût été déplacée au boulevard ; il est resté fidèle au contraire, à cotte manière vive, rapide et spirituelle dont il a fourni le patron à tous les musiciens d’opérette, et à laquelle il doit le meilleur de sa popularité.
Il a jeté à profusion, et au courant de la plume, les duos, les trios, les ensembles, les finales, avec cette facilité aimable qui ne sent ni la peiné ni la réflexion : mais le bon coin de sa veine, c’est encore, ce
sera toujours cette série de chansons, de couplets, de fredons, qui dansent avec grâce sur le rhythme ingénieux, et qui, agrès avoir été murmurés au théâtre, deviennent ce qu’on peut appeler la « chanson parisienne » du jour ou du moment. Ne fait pas qui veut une de ces
chansons là ! L’art des grands musiciens s’y embarrasse et s’y alourdit. – « Eh quoi ! direz-vous, durer rien qu’un jour, rien
qu’un moment ? – Eh bien ! quand on est heureusement doué, on fait comme Offenbach on recommence !

On a vivement applaudi, au premier acte de la « Jolie parfumeuse, les deux chansons de madame Théo aiguisées en chœur au refrain, le rondo très piquant du dessinateur dit par Bonnet, et le final
chanté et dansé : Les uns vont en carrosse, les autres vont la pied. Est-ce l’air dit par Troy au lever du rideau du second acte, est-ce le chanteur qui est prétentieux ? Il faut pourtant que ce soit l’un ou l’autre. Mettons qu’ils sont là de moitié. Le public a fait bisser force couplets, duos ou fragments de duos ; Je citerai dans le nombre
le duo bouffe de Bavolet et de Poireau : Qu’avez-vous fait de ma femme ? et la ronde de la « Toulousaine » intercalée dans le finale. Au troisième acte il faut signaler un joli duo, celui de l’explication des
jeunes mariés où l’on remarque une phrase très heureuse : Où donc as-tu passé la nuit ? Mais le succès de cet acte, c’est la lettre de Poireau demandant en mariage Mademoiselle Bruscambille.

Rose Michon, c’est la gracieuse madame Théo. Cette Rose, du théâtre (permettez-moi de prendre la file des comparaisons) c’est, selon le caprice de la lorgnette, un pastel de La Tour, une tête de Greuze, une
figure de l’Albane, un sourire de marquise sur un éventail de Wateau, un délicieux dessus de porte de Boucher, une miniature de madame de Mirbel, une statuette de Canova, une bergère en pâte tendre… Il n’y a qu’une voix, la sienne exceptée, pour chanter les louanges de la
jolie parfumeuse. Madame Grivot est un Bavolet très intelligent. Clorinde, la chanteuse de l’Opéra sous les traits de madame
Fonti, ne voudrait pas rompre avec La Cocardière ; mais elle a pris son parti de se brouiller avec l’intonation. Bonnet, acteur plein de naturel, est fort plaisant dans le Suisse Poireau. M. d’Aubray s’est très sérieusement voué à l’emploi des comiques. Pour cette fois, je crois que la Renaissance tient un succès.

(…)

Benedict.

[1SIC

Par date
Par œuvre
Rechercher
Partager