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Courrier des théâtres

Le Figaro – Vendredi 19 juillet 1872

C’est le 25 de ce mois qu’aura lieu la dernière représentation du Roi Carotte à la Gaîté.

(…)

___

Lundi soir, au moment où huit heures et demie sonnaient aux mille horloges du magasin des Mille-Pendules, l’attention des promeneurs aux environs de la rue Monsigny fut attirée par la démarche altière d’un homme, mince encore, enveloppée d’un paletot gris, et qui longeait les murailles dans la direction des Bouffes.

Cet homme – personne ne l’a deviné – c’était Jacques Offenbach !

Il franchit rapidement le péristyle du théâtre… de ses premiers exploits, pénétra dans le couloir de gauche et, d’une voix stridente, lança ces mots à une ouvreuse étonnée :

– Oufrez la loche 22 !…

La porte de la loge s’ouvrit ; il s’y installa et s’écria :

– Enfin ! je vais apprendre comment on fait une opérette !

*
* *

Quelques secondes après, les spectateurs de l’orchestre eussent pu entonner sur l’air de Zerline, dans Fra Diavolo :

Voyez dans cette loche
Ce Jacque [1] à l’air fier et hardi !
Charles Comte est près de lui,
Son gendre, son ami !
Il se penche, il s’approche,
Et vers Judic et vers Peschard
Il décoche, en fin renard,
Son plus tendre regard…
Tremblez ! bientôt dans la coulisse
Va se glisser Narcisse
Offenbach ! Offenbach !
Offenbach !…

A la vue du maestro, qui daignait enfin se déranger pour assister à la 97e représentation de la Timbale d’argent, les artistes ne purent cacher leur émotion. Madame Judic se prit à chevroter, et la voix s’éteignit dans la gorge de madame Peschard.

*
* *

Au moment où le compositeur d’Orphée applaudit doucement la jolie phrase de Muller :

J’ai faim ! j’ai soif !…
Ah ! c’est que j’ai bon appétit !

Désiré faillit s’évanouir, et, quand, au troisième acte, sa nièce Molda l’embrasse par trois fois, reconnaissante d’avoir été initiée aux mystères de la séduction, voici le dialogue qui s’échangea entre eux :

DÉSIRÉ
Ne m’embrasse pas comme ça, je n’ai plus de monnaie…

MOLDA
Plus une seule pièce ?

DÉSIRÉ
Ne parle pas de pièce ! (Regardant Offenbach) Le contrôleur est là !

Aussitôt, madame Peschard, qui n’avait pas cessé de faire des yeux méchants à madame Judic, reçut un gros bouquet de roses que venait de lui lancer une main non moins mignonne qu’inconnue ; madame Judic reçu un grand compliment de Jacques Offenbach, qui était monté tout exprès sur le théâtre, et MM. Comte et Jules Noriac reçurent la promesse du maître qu’il choisirait, parmi les livrets de l’hiver, celui qui lui conviendrait le mieux pour en ciseler la musique.

De cette façon, tout le monde reçut quelque chose. Oh ! ce fut une délicieuse soirée !

*
* *

Si délicieuse, qu’à la sortie du théâtre, un farceur s’étant amusé, pour en détruire le charme, à glisseur ces mots à l’oreille d’Offenbach :

– Et Vasseur ?

Celui-ci répondit sans sourciller :

– Elle est heureuse ! Et la tienne ?

Jules Prével.

[1SIC

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