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Échos de Paris

Le Figaro – Dimanche 4 juin 1865

Le souper de la BELLE HÉLÈNE

Ce soir-là, le rideau venait de se baisser sur la cent cinquantième représentation de la Belle Hélène, et les actrices de quitter leur peplum antique pour une robe ultra-moderne ; les acteurs d’endosser l’habit noir, et tout ce monde, gai, riant, de se rendre au restaurant Peter’s, où Jacques Offenbach avait convié, à l’heure de minuit, cent cinquante amis – cent cinquante – un par représentation !

L’hiver prochain, maestro mio, la deuxième édition du Souper de la Belle Hélène comptera donc trois cents convives ?

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Je raconterai tout à l’heure le repas. Avant toutes choses, voici le menu :

Entrée par la rue Richelieu. – Minuit. – 150 couverts.

Potages :
Brunoise aux œufs.
Tortue.
Tapioca.
Hors-d’œuvre : Saucisson de foies gras aux truffes
Saumon sauce verte. Mayonnaise de homard.
Filet de bœuf portugaise.
Chauds froids de volaille aux truffes.
Petits pois la française.
Salades russes.
Rocher de glace.
Savarin de glace.
Desserts.

M. de Villemessant a pu oublier chez Peter’s son maigre repas de Wildungen.

J’avais, moi, la bonne fortune d’être placé entre Xavier Aubryet, qui pétillait de bons mots, et Mlle Georgette Olivier, qui scintillait de beaux yeux.

Mlle Schneider était la reine de la fête, Ses diamants brillaient comme des braseros et il fallait tout le feu de la conversation pour les éteindre ; encore l’incendie a-t-il persisté.

M. Offenbach est de ces gens électriques qui savent animer toute une réunion ; il jette un chaud ; notez qu’il était renforcé d’une élite d’aimables convives.

Groupez autour d’une table servie à souhait, parmi les plantes à feuillages colorés et les fleurs de la saison les plus charmantes actrices, les plus gais de nos acteurs et les moins attristants de nos hommes d’esprit : Mlles Alphonsine, Pierson, Julia H..., Tostée, Mme Ugalde, j’en oublie. MM. Albéric Second, Jules Noriac, Cogniard frères et fils, Robert Mitchell, Jules Prével, Jules Richard – que de Jules ! – Lambert Thiboust, Dupuis, Guyon, Kopp, bien d’autres ; Adrien Marx, revenu tout exprès de Samoreau pour faire sa paix avec Mlle Schneider ; puis, pour citer par ordre de placement :

Gustave Claudin, Mlle Silly, Gaston de Saint-Valry, Mlle Félicie, Théodore Barrière, Mlle Gervais, Léo Lespès, Mlle Irma Marié, Henri Meilhac, Mlle Céline Renaud, Ludovic Halévy, Mlle Rivière, Tony Révillon, Mlle Dolcy, etc., etc,, etc. ; mes notes au crayon se sont effacées.

Et au centre : Mlle Schneider, Offenbach et H. de Villemessant.

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Le premier toast a été porté par Offenbach à Mlle Schneider.

Le second par Mlle Schneider à M. Offenbach et à ses pièces futures : le Lazzarone d’Ems, les Bergères des Bouffes et le Barbe-Bleue des Variétés.

M. Couder a porté la santé d’Agamemnon et bu au roi barbu, comme c’était son devoir.

J’ai de tout cœur fait rasade en l’honneur du dernier livre de Jules Noriac, Journal d’un flâneur, et de son prochain, le Capitaine Sauvage.

Bref, un repas charmant, confraternel, paisible au possible, et sans certain incident, accident, devrais-je dire...

Voilà. Il s’est trouvé que M. Grenier, raillant un peu trop spirituellement Mlle Silly, Mlle Silly, qui avait conservé, par manière de contenance, le léger stick du jeune Oreste... vous comprenez.

Mais on est intervenu – au dessert les rancunes s’envolent avec les bouchons – et l’on a réconcilié Calchas avec le fils de son roi.

Jules Claretie.

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