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Premières représentations

Le Figaro – Lundi 15 janvier 1872

Théâtre des Menus-Plaisirs.La Reine Carotte, fantaisie en beaucoup de tableaux, par MM. Clairville, Victor Bermaez et Victor Koning.

Après une course effrénée, la Reine Carotte est arrivée première. Quelques gens s’étonnent, imaginant qu’il s’agissait d’une parodie. mais c’est une erreur. La Reine Carotte est une conception a priori indépendante de l’œuvre de Sardou et d’Offenbach, qu’elle ne prétend ni déflorer ni côtoyer.

Je ne sais, quant à moi, quel goût singulier pousse les auteurs mes contemporains vers les légumes en général et les prosterne particulièrement devant la racine jaune à qui nous devons la purée de Crécy. Je ne sonderai pas ce mystère.

Je n’entreprends pas non plus de vous narrer les aventures de la Reine Carotte. Il s’agit, comme on le pense bien, d’un enchantement qui retient captive, sous la tige d’une ombellifère, la reine d’un pays fantastique. Lorsque la reine est délivrée, le roi, son mari, se trouve vieilli de vingt ans : elle veut fuir ; il veut la suivre. De là des courses insensées par monts et par vaux, sous des déguisements verts, rouges et jaunes, avec un capitaine des gardes déguisés en coche et un ministre de la police enfermé dans une malle.

Je laisse à l’imagination du lecteur le soin de broder les épisodes sur ce canevas fertile en cocasserie, qui tantôt épanouissent la rate du bon public et tantôt réveillent en lui des susceptibilités inattendues.

On a beaucoup ri d’un petit prologue, lestement troussé, qui fait pénétrer les profanes dans le cabinet des directeurs, occupés du grand œuvre d’une féerie musicale à grand orchestre. La plaisanterie ne dépasse pas la mesure, bien que deux acteurs se soient permis la liberté aristophanesque de reproduire – d’assez loin – la physionomie et la mise de M. Victorien Sardou et de M. Jacques Offenbach.

Des décors tout neufs, quelques-uns très-jolis, entre autres la vue de Valence en Espagne ; des costumes brillants, des trucs qui fonctionneront sans doute la semaine prochaine, un ballet bien réglé, beaucoup de mouvement et de tapage : voilà les éléments matériels du succès.

L’intérêt de la soirée, assez vif pour avoir attiré l’élite de la critique parisienne, c’était le début de mademoiselle Thérésa dans un rôle complet, écrit pour elle, et qui devrait transformer décidément en comédienne la chanteuse populaire.

Les auteurs, à ce qu’il me semble, n’ont pas eu assez de confiance dans l’intelligence et les qualités de diction de mademoiselle Thérésa. Le personnage qu’ils lui ont tracé ne comporte guère que des trivialités et des cascades, dont elle s’est tirée d’ailleurs avec beaucoup d’entrain et de gaîté. On lui fait même danser le dango ; et je dois constater, en historien modèle que la salle entière y a pris beaucoup de plaisir.

La musique de la Reine Carotte appartient à peu près à tout le monde. Le succès de mademoiselle Thérésa s’est prononcé d’abord dans la chanson de l’aiguilleur, ensuite dans une amusante pochade sur la Madolinata de Paladilhe. Je cite encore l’air, que la Reine captive chante du fond de l’énorme carotte qui lui sert de prison.

Le reste de la trope chante faux avec un ensemble, une certitude et une persévérance qui ne sauraient être l’effet du hasard et qu’on ne peut attribuer qu’à une méthode spéciale.

J’allais oublier, et c’eut été grand dommage, un jeune baryton nommé Williams, qui a exécuté la sérénade de Don Juan d’une manière vraiment extraordinaire. Faure lui-même, s’il eût été là, s’est fut montré surpris.

Auguste Vitu.

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