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Premières représentations

Le Figaro – Vendredi 5 septembre 1873

Gaîté. – Le Gascon, drame en neuf tableaux, par MM. Théodore Barrière et Louis Davyl.

Le Gascon appartient à la famille des drames de cap et d’épée, qui, depuis l’époque de 1830, où l’on vit éclore ce nouveau « genre national, » a pris, dans les amusements du public, la place de l’antique tragédie, de solennelle mémoire. Ne vous y trompez pas ; ces sortes de panoramas historiques exercent sur les masses une attraction égale à leur influence. Un nombre infini de braves gens ne sait, de notre histoire de France, que ce que lui en ont appris les drames d’Alexandre Dumas et d’Auguste Maquet. C’est un enseignement populaire qui n’est pas à dédaigner et que je considère même comme très utile, à la condition que les auteurs aient conscience de leur responsabilité et ne pervertissent pas les imaginations qu’ils fascinent.

MM. Barrière et Louis Davyl, sans se piquer d’une exactitude minutieuse, poussée jusqu’à l’archaïsme, ont généralement respecté la physionomie réelle des événements parmi lesquels circule leur affabulation romanesque.

Ils ne se sont pas départis non plus des règles essentielles du genre. Vous prenez un hardi compagnon, capable de tous les sentiments généreux et de toutes les actions les plus invraisemblables ; qu’il s’appelle d’Artagnan, Pontis, Chicot ou Lagardère ; vous le lancez dans le tourbillon des intrigues politiques, à travers la foule des rois, des reines, des ministres et des ambassadeurs. En peu de temps notre cadet – généralement de Gascogne – aura pénétré le secret des cabinets, et lira couramment dans le cœur des plus hauts personnages ; au quatrième acte il tiendra dans sa main le destin des empires, et au cinquième il assurera le triomphe de l’innocence, démasquera les traîtres et sauvera les têtes couronnées, ne sollicitant et n’acceptant pour toute récompense que la reconnaissance due à ses incalculables bienfaits.

Mais, en gardant le cadre, on peut varier les tableaux. C’est à quoi Théodore Barrière et son collaborateur ont réussi à la satisfaction générale.

L’action se passe vers 1561, au lendemain de la mort du roi François II et aux débuts du règne de son frère Charles IX.

PREMIER TABLEAU. – Nous sommes à la foire Saint-Laurent. Une troupe de comédiens errants va représenter le Mystère du chevalier qui donna sa femme au diable. Lorsqu’ils sont l’un après l’autre descendus de leur chariot, la paille qui leur servait de tapis de pieds s’agite et l’on en voit sortir une espèce de Matamore au feutre dépenaillé, à la longue rapière

Plus délabré que Job et plus fier que Bragance,

C’est le chevalier Artaban de Puycerdac que les comédiens ont recueilli sur la grande route, évanoui des suites d’une mémorable volée qu’il avait reçue. La foule des badauds le prend pour le capitaine de la troupe. Artaban ne se démonte pas ; il accepte la situation, et raconte aux écouteurs l’histoire insensée de ses malheurs.

Un des acteurs, le nommé Thomassin, se laisse éblouir par ces hâbleries. Il offre au magnifique seigneur Artaban de Puycerdac de devenir son valet. et met à son service toutes ses économies. Artaban se laisse faire, et commence par s’appliquer un succulent dîner capable de réparer plusieurs semaines de jeûne.

Juste à cet instant délicat où le cerveau doucement excité par la chaleur des vins généreux, s’ouvre aux chimères légères, deux dames apparaissent, une jeune et une vieille, poursuivies par une troupe d’étudiants en goguette. Artaban, en véritable chevalier... gascon, ordonne à son valet improvisé de chasser ces insolents. Il ne garde pour lui-même que l’agréable emploi de recevoir les remercîments de la jeune et belle inconnue, qui n’est autre que Stella Roselli, la demoiselle d’honneur de la reine Marie Stuart.

L’entretien est fâcheusement interrompu par quelques gentilshommes écossais, et surtout par lord Maxwell, le fiancé de Stella. Lord Maxwell le prend de haut avec notre Gascon, qui commence à se sentir inquiet de s’être lancé dans une aventure dangereuse.

En effet, jusqu’à cette époque de sa vie, Artaban s’était contenté d’espadonner à travers l’espace contre des ennemis imaginaires, et n’avait jamais battu que le pavé. La provocation de lord Maxwell le plonge dans un abîme de perplexités. Il allègue, pour colorer sa retraite, qu’il n’a pas de témoin. – Je serai le vôtre ! dit un gentilhomme français, présent à cette scène, le comte de Châtelard. – Que le diable l’emporte murmure le Gascon.

Néanmoins il dégaine avec une emphase sublime.

A ce moment, un regard de Stella Roselli transforme Artaban de Puycerdac ; non-seulement c’est un brave, ce sera tout à l’heure un héros. Touché une première fois par l’épée de Maxwell, – Bah ! s’écrie-t-il, il n’y a que la première goutte de sang qui coûte ! – Et il continue à se battre jusqu’à ce qu’un nouveau coup d’épée le transperce de part en part.

Deuxième tableau. – Grièvement blessé, le Gascon a été transporté dans une boutique voisine, chez Samuel, le costumier de la cour. En l’absence de son mari, madame Samuel a si bien soigné Artaban, qu’il est revenu à la vie. Il dispose du logis, de la table et du reste chez la belle bourgeoise. On entend au dehors une troupe de chanteurs béarnais. Vite, qu’on les fasse entrer. Et voilà Artaban, tout entier aux souvenirs du pays, qui se fait redire les chansons basques, et chante lui-même une ballade, qui est tout uniment une perle musicale (musique de Jacques Offenbach). Et Capoul lui-même serait jaloux du succès d’Artaban-Lafontaine transformé en tenorino au grand ébahissement d’un public enchanté.

Survient le comte de Châtelard, le témoin du duel. Le pauvre gentilhomme est triste. Entre Artaban et lui s’échangent les mêmes confidences qu’entre Ruy-Blas et don César de Bazan. Le comte de Châtelard est amoureux de la jeune reine, à qui jamais il n’a parlé. – N’est-ce que cela ? dit Artaban chez qui le gasconisme est revenu avec la santé. Je me charge de vous présenter à elle. – Où cela ? – Au Louvre. – Quand cela ? – Aujourd’hui même.

Notez que l’audacieux aventurier ne sait pas comment il s’y prendra pour tenir sa promesse. Mais bast ! l’imagination d’un Gascon ouvre les portes des palais aussi bien que les coffres forts des bourgeois. Plusieurs ambassades étrangères doivent être reçues au Louvre le jour même pour demander, au nom de leur souverain respectif, la main de la jeune reine de France et d’Ecosse, veuve de François II. Artaban choisit dans le vestiaire de madame Samuel un magnifique costume. Avec de beaux habits et de l’aplomb, où n’entrerait-on pas ?

TROISIÈME TABLEAU. – Nous sommes dans les jardins du Louvre. La reine Marie y tient sa cour, au milieu des beaux esprits et des grands artistes du temps ; voici le sire de Brantôme et voici Jean Goujon. Les ambassadeurs d’Espagne, d’Autriche et de Suède se font annoncer puis l’ambassadeur du roi de Navarre.

Celui-ci n’a pas de lettres de créance on va l’expulser comme un intrus ; mais il prétend ne les remettre qu’à la reine elle-même. Artaban, – car c’est lui – dépose respectueusement entre les mains de la reine Marie non pas une lettre mais une feuille de papier où sont écrits des vers de Châtelard. La reine se trouble, et Artaban profite de cet instant de répit pour s’excuser de ne pas demander, comme les autres ambassadeurs, la main de la reine pour son auguste maître ; mais cette abstention s’explique de reste, son auguste maître n’est âgé que de dix-huit mois !

La reine a toutes les peines du monde à s’empêcher de rire, et quand on rit on est désarmé. Marie Stuart, sur l’intercession de Stella Roselli, fait plus, elle accorde pour le comte de Châtelard la présentation demandée, dans laquelle se dessine l’affection naissante de Marie Stuart, pour ce jeune et poétique gentilhomme.

Mais enfin, il faut recevoir l’ambassadeur d’Angleterre il est chargé d’un singulier message ; la reine Elisabeth veut donner à Marie Stuart un époux de sa main, et cet époux c’est le comte de Leicester. Une telle proposition fait monter le rouge au front de Marie Stuart, qui la considère avec raison comme un sanglant outrage. Quelques personnes ont paru choquées de cette scène, où Marie Stuart laisse éclater son indignation contre la reine d’Angleterre qui lui offre la main de son amant. Le trait, cependant, appartient à l’histoire. Il est d’ailleurs bien féminin, et fait comprendre l’atrocité de la lutte ou deux femmes couronnées mêlaient aux calculs de leur politique les perfidies envenimées et les jalousies de leur sexe.

Sur le refus de Marie Stuart, l’ambassadeur d’Angleterre déclare, la guerre à l’Ecosse. Obéissant sans le savoir aux volontés de Catherine de Médicis, dont la main cachée a conduit tout ceci, Marie Stuart quittera la France elle ira défendre en Ecosse sa couronne menacée.

QUATRIÈME TABLEAU. – Les gentilshommes français qui avaient juré d’aller avec Marie jusqu’à Edimbourg pour la défendre chemin faisant contre les embûches d’Elisabeth, apprennent, dans une auberge de Calais, qu’un ordre de la Florentine leur interdit d’accompagner la jeune reine. Le Gascon, toujours inventif, remarque que la défense d’accompagner la reine n’implique pas la défense de partir sans elle. Il ne manque pour cela qu’un navire.

Bagatelle ! Le Gascon s’entend avec un nommé Carnoff, patron d’une goélette ; c’est-à-dire qu’il engage une querelle avec lui et lui applique de si mirifiques coups de poing que Carnoff, ébloui d’admiration, met sa goëlette et son équipage au service de la noblesse française. Ce n’est pas plus difficile que cela.

CINQUIÈME TABLEAU. – Le port de Calais. – La reine Marie, au moment de s’embarquer, fait ses adieux à la France, en lui adressant les vers touchants, – authentiques ou non, – que la tradition nous a consacrés :

Adieu, plaisant pays de France.
. . . . . . . . . . . .
La nef qui disjoint nos amours
N’a pris de moi que la moitié.
L’autre part te reste : elle est tienne
Je la fie à ton amitié,
Pour que de l’autre il te souvienne.

Offenbach aurait pu écrire un morceau d’orchestre pour accompagner la déclamation de madame Victoria Lafontaine ; il a préféré faire entendre la mélodie de Niedermayer que chantait madame Stoltz dans la Marie Stuart de l’Opéra, le seul morceau qui survive de cette oeuvre estimable. C’est, de la part d’Offenbach, une preuve de modestie et de goût qu’il convient de signaler.

SIXIÈME TABLEAU. – La population d’Edimbourg attend l’arrivée de la reine. Ici les auteurs ont tracé un tableau, nécessairement très succinct, mais fidèle, de l’enfer vivant ou la malheureuse jeune femme allait entrer. Catholique, elle arrivait, au milieu d’une population agitée par la fièvre de la réforme rieuse, expansive, habituée aux fêtes artistiques et galantes de la cour des Valois, son seul aspect était un scandale pour des puritains fanatiques ; jeune, belle et veuve, elle allait tenter l’ambition plus encore que les sens de grands seigneurs arrogants, aux mœurs atroces, qui se disputeraient ses faveurs par la violence, et n’aspireraient à son lit que pour lui voler sa couronne.

C’est autour de lord Maxwell et de lord Ruthwen, que MM. Barrière et Davyl ont groupé les passions prêtes à se déchaîner sur Marie Stuart : Ruthwen, un pur fanatique ; Maxwell, un noir ambitieux qui compte régner sur l’Ecosse en se faisant l’instrument du mariage de la reine avec son cousin, Robert Darnley.

La reine arrive enfin, et l’émeute, concertée par les chefs de la noblesse calviniste, éclate sur son passage. On brise les glaces de sa litière on veut la forcer d’abjurer. – Vous pouvez prendre ma vie, s’écrie-t-elle, vous n’aurez pas mon âme ! A ce moment, les gentilhommes français, faisant une trouée dans la foule, parviennent à dégager la reine. Ruthwen, furieux, tire un coup de pistolet sur sa souveraine ; Châtelard se jette au-devant du coup et reçoit la balle en pleine poitrine.

Pendant qu’on l’emporte, les trente gentilhommes français, rangés sur deux lignes, entrecroisent leurs épées et c’est sous cette voûte de fer que Marie Stuart rentre dans son palais d’Holyrood.

SEPTIÈME TABLEAU. La reine a voulu donner une fête. En attendant le bal, le chevalier Artaban et Stella Roselli échangent de tendres confidences. Le Gascon se fait connaître pour ce qu’il est réellement, un pauvre gentillâtre qui ne possède au monde que son épée et que l’amour de Stella. Etant aimé, il ne veut plus mentir : scène charmante, pour laquelle, malheureusement Lafontaine n’a pas trouvé sa partenaire.

Mais lord Maxwell n’entend pas abandonner ses droits ; il veut deux choses, d’abord garder Stella pour lui, ensuite obliger la reine à épouser Robert Darnley ; sinon il déshonorera Marie Stuart en prouvant qu’elle s’est compromise au point d’aller s’asseoir au chevet de Châtelard lorsqu’il était mourant. Or, Châtelard est debout, et la pitié de la reine peut être interprétée contre elle.

Ces sombres intrigues sont interrompues pour quelques minutes par un ballet écossais très animé, très original, réglé par M. Fuchs, et pour lequel M. Vizentini a ingénieusement instrumenté et combiné des airs populaires de l’Ecosse.

Lorsque la lumière électrique a cessé de répercuter ses éclairs sur les boucliers et les claymores des guerriers écossais, il était précisément minuit et demi. Le spectacle, commencé à sept heures et demie précises, durait déjà depuis cinq heures.

A ce moment, un certain nombre de spectateurs, accablés de fatigue ou mourant de faim, ont déserté leur stalle ou leur loge. Ils se sont ainsi privés des deux derniers tableaux, qui sont, à mon avis, les plus curieux et les plus intéressants du drame.

HUITIÈME TABLEAU. – Dans un site pittoresque et mélancolique, aux abords du château d’Holyrood, la neige tombe à flocons lents et pressés. La reine, au balcon de sa chambre entr’ouverte, exhale l’amertume de ses pensées et la tristesse de ses pressentiments. Châtelard peut-être va venir sous ce balcon, comme il l’a fait déjà pendant deux nuits, et la reine, avertie par Stella, sait que Maxwell est sur ses gardes et cherche à le surprendre.

Ces pressentiments n’étaient que trop fondés. Au moment où Châtelard survient, une ronde de garde royale approche ; un cri d’angoisse de la reine prévient Châtelard du danger ; le jeune homme s’élance dans les fossés du château, dont le fond, heureusement pour lui, est matelassé d’une épaisse couche de neige.

De son côté, Artaban, attiré par une fausse lettre de Stella, que Maxwell a fabriquée, arrive dans ce lieu désert et s’y trouve en face de Maxwell accompagné de trois hommes, qu’il présente comme ses parents et ses témoins. Pendant qu’ils croisent le fer, on aperçoit Châtelard qui essaye de sortir du fossé en s’aidant des branches d’un arbre ; mais cet arbre est à la portée du balcon de la reine. Châtelard s’y présente, y frappe doucement, la fenêtre s’ouvre et se referme sur lui.

Artaban comprend que si son ami est surpris dans le château, la reine est perdue. Il appelle Châtelard ; un manteau jeté sur sa tête par les acolytes de Mawell étouffe les cris du Gascon, puis Maxwell le poignarde et laisse sa dague dans la plaie.

Le pauvre Artaban demeure étendu sur le sol et la neige qui tombe toujours va bientôt recouvrir son corps. Heureusement, les Gascons ont la vie dure. Artaban revient à lui ; il est possédé d’une idée fixe sauver Châtelard et la reine le sang de sa plaie coule toujours il l’étanche avec de grosses poignées de neige ; il ne peut plus marcher, eh bien il se traînera mais, arrivé au bout du parapet qui domine le fossé, il s’arrête épuisé et perd encore une fois connaissance. A ce moment suprême, le valet Thomassin, inquiet de son maître, arrive et jette un cri d’épouvanté en apercevant le chevalier étendu dans la neige et dans le sang.

NEUVIÈME ET DERNIER TABLEAU. – Châtelard vient de pénétrer dans la chambre de la reine ; il se trouve seul avec elle pour la première fois ; Marie Stuart épanche son âme ; elle aime Châtelard, elle le lui dit ; mais elle le supplie de fuir à l’instant. Le comte veut obéir par respect pour la réputation et le repos de la reine. Malheur toutes les issues sont gardées, et l’on frappe à coups redoublés à la grande porte de l’appartement. C’est Maxwell accompagné de tous les lords d’Ecosse.

Au milieu de cette suprême angoisse, on entend une voix derrière la porte secrète par laquelle la mère de Marie Stuart l’entraîna une nuit d’émeute. C’est la voix du Gascon. – Ouvrez, madame ; il n’y a pas une seconde à perdre ! – Dernière épouvante ! Marie, depuis tant d’années, a oublié le secret qui ouvre cette porte ; dans son désespoir, elle se jette au pied du crucifix, qu’elle embrasse – et la porte s’ouvre. C’était là qu’était le secret.

Artaban, respirant à peine, couvert de sang, de neige et de boue, pousse Châtelard dans le corridor sombre ; il se laisse aller sur un fauteuil et dit à la reine :

– Vous pouvez ouvrir maintenant. Toute la cour se précipite. Maxwell et Darnley somment la reine de leur livrer Châtelard.

– Il n’y a qu’un homme ici, dit le Gascon, c’est moi, qui suis venu demander à la reine justice contre lord Maxwell, contre mon assassin.

Maxwell veut nier, Thomassin présente la dague accusatrice enlevée par lui sur le lieu du crime. Darnley abandonne son complice, qui est obligé de rendre son épée, et qui sort emmené par la garde, et dit à Darnley en lui montrant Marie Stuart d’un geste prophétique : « C’est elle qui me vengera de toi. »

Artaban va mourir : « – Que puis-je faire pour vous ? lui demanda la reine éperdue. »

– « Faites-moi prince, madame, et qu’on le sache en Gascogne ! »

Et comme la reine lui accorde cette faveur in extremis.

– « Rassurez-vous ! s’écrie le prince Artaban en relevant la tête pour la dernière fois, un Gascon ne meurt jamais. surtout quand il est prince. »

*
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Tel est ce drame original, émouvant parfois, surtout dans les dernières parties, amusant presque toujours, et qui s’annonce comme un grand succès. Je n’insiste pas sur quelques coupures nécessaires et qui s’indiquent d’elle-même, surtout dans le tableau de la fête d’Holyrood. La direction nouvelle l’a encadré de magnifiques décors, les jardins du Louvre, la place publique d’Edimbourg, le palais d’Holyrood et l’effet de neige, je ne cite que les principaux, tous peints par M. Robecchi. Les costumes sont d’une richesse et d’une fidélité des plus louables. Il y a des effets de mise en scène qui ont produit une grande impression, par exemple le passage de la reine sous la voûte des épées françaises au milieu du peuple en fureur.

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La nouvelle troupe de la Gaîté compte des transfuges de l’Ambigu, du Châtelet, des Variétés et des théâtres de province. Elle n’a pas encore toute l’homogénéité ni toute l’aisance désirables.Cela se formera. M. Clément Just, M. Raynald, M. Angelo, ont l’habitude du drame ; le premier surtout, qui devra toutefois se défier des temps excessifs par lesquels il allonge démesurément les parties tranquilles du rôle de Maxwell.

Je ne jugerai pas madame Teissendier (Stella), qui arrive de Bordeaux et de Reims, sur un premier début. Il me semble, à première vue, que ses éclats de rire parfois intempestifs lui réussiront mieux dans un rôle gai que dans des situations tendues et dramatiques. Peut-être avait-elle mal aux nerfs.

On revoit toujours avec plaisir le compère Alexandre, qui a tiré du valet Thomassin toute la quantité d’hilarité qu’il pouvait fournir à son expérience consommée.

Madame Victoria Lafontaine a composé avec intelligence le rôle très lourd de la jeune reine Marie. Elle dit avec une simplicité touchante les adieux légendaires de la reine d’Ecosse, et a été chaleureusement applaudie dans la scène d’amour et de terreur du dernier tableau. Elle s’y est retrouvée tout entière, et supérieure, à mon avis, aux scènes d’emportement et de colère, où la vaste étendue d’une salle comme la Gaîté l’oblige à forcer, au delà de ses limites naturelles, une voix faite pour l’expression des sentiments de la tendresse voilée et d’une sensibilité contenue.

Pour Lafontaine, le rôle du Gascon n’a été qu’un long triomphe, qui lui assure, sans contestation possible, le premier rang parmi les acteurs de drame actuellement vivants. Je ne vois, en effet, personne qui pût supporter comme lui le fardeau d’un rôle qui exige, avec une dépense extraordinaire de force physique, une présence d’esprit, une ampleur de diction et de geste, une certitude d’effets et une variété de nuances auxquelles on reconnaît le comédien absolument maître des secrets de son art. C’est ainsi qu’il a pu rendre de la manière la plus saisissante, la terrible agonie d’Artaban dans la neige et retrouver peu d’instants après la verve bouffonne et grandiose du Gascon expirant dans la peau d’un prince d’aventure.

Après la proclamation du noms des auteurs, Lafontaine a été rappelé à grands cris et salué par une ovation qui marque certainement la soirée la plus complète de sa carrière artistique.

Auguste Vitu.

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