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Semaine théâtrale

Le Ménestrel – Dimanche 10 mai 1868

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Le CHÂTEAU A TOTO et le PONT DES SOUPIRS.

Cette semaine est éminemment offenbachique. Trois actes tout battant neufs au PALAIS-ROYAL ; — aux VARIÉTÉS, trois autres actes qui sont comme nouveaux ! — Au fait, les Variétés ne vivent guère depuis un an qu’à coups de reprises de la Grande Duchesse, de la Belle Hélène, de Barbe-Bleue ; il convenait de changer, sinon de maestro, du moins de pièce. Quant au Palais-Royal, il avait quelque peu langui depuis la fin (assez peu prématurée d’ailleurs) de la Vie Parisienne. Ses tentatives pour s’affranchir de la domination du grand maître de l’opérette, n’avaient pas réussi, même en appelant à la rescousse les grands maîtres de la comédie-vaudeville, les Labiche et les Barrière... Va donc pour l’opérette, puisque Public-Pacha l’exige.

Que dire du Château à Toto ? Les avis sont partagés sur l’avenir de l’ouvrage ; mais si l’on veut bien se souvenir que la naissance des autres épopées burlesques du maestrino a été saluée des mêmes doutes, on conviendra que l’auteur peut, jusqu’à nouvel ordre, garder toute confiance en son étoile.

En deux mots, voici les impressions sommaires de la soirée de mercredi : le premier acte a reçu un accueil quasi triomphal (c’est assez l’habitude des premiers actes de MM. Offenbach, Meilhac et Ludovic Halévy) ; le second a réussi moins vivement ; le troisième acte s’est relevé très à propos, grâce à un hors-d’oeuvre joyeusement présenté par Gil-Pérez : la scène du facteur rural.

Le sujet est clairement exposé dans la chanson de M. Toto, alias Hector, comte de la Roche-Trompelte : « Mes aïeux, dit-il, c’était bien la peine... de guerroyer... de me léguer un nom historique... de bâtir ce château superbe et d’y annexer toute une contrée...

Mes aïeux, c’était bien la peine !
Pour qu’un jour un petit crevé,
Un jour qu’il était en déveine,
Un jour qu’il était décavé,
Vendît la plaine et la montagne,
La ferme et le manoir altier,
Pour avoir bu trop de Champagne
Avec des filles de portier !

M. Toto, qui en est là un an après sa majorité, amène avec lui à la campagne la pseudo vicomtesse de la Farandole, qui l’a mis à sec, et je ne sais quel gandin écornifleur qui a vécu à ses dépens : il est juste qu’ils assistent à la vente de ce domaine qu’ils ont aidé à ruiner. Même la pseudo vicomtesse veut acheter sous-main ; les enchères sont menées par un seigneur voisin, qui rêve de démolir le castel et d’assouvir ainsi de vieilles haines nées au temps des croisades. Ce grotesque féodal est pourtant obligé de lâcher prise devant un enchérisseur qui se trouve être sa propre fille, naïve enfant éprise de Toto, et qui emploie les deux millions de son argent de poche à cette bonne oeuvre de rachat. Il va sans dire que le trop heureux Toto épouse cette autre Dame blanche. — J’ai négligé quelques épisodes champêtres.

M. Offenbach a résisté à la tentation de parodier Boïeldieu, mais c’est sur le prologue choral de Roméo qu’il a passé son envie.

Cette concession une fois faite au démon de la parodie, il faut dire qu’il a payé comptant pour sa part en mélodies gracieuses ou piquantes. Citons au premier acte une gentille romance, les couplets du Château à Toto ; au deuxième acte, une villanelle fort jolie, dont le refrain se reprend en tierces langoureuses, un brindisi dans la manière offenbachique ; au dernier acte, la scène du facteur rural, etc., etc. Et partout un orchestre pétillant plein de vie et de mouvement, très-bien dirigé par M. Robillard.

Mlle Zulma Bouffar a qui son rôle de Drogan a fait prendre en prédilection les travestis, joue et chante le rôle de Toto avec beaucoup d’intelligence et de brio vocal. Alphonsine débutait au Palais-Royal dans un rôle de fermière : elle est toujours bien fraîche et bien franche. Gil Perez a eu les honneurs de la soirée avec Zulma Bouffar ; il est grandement bouffon dans le personnage du vieux baron de Grécy-Crécy. Lassouche n’a guère qu’à se montrer en gandin abruti et c’est assez. Brasseur multiplie les transformations comme toujours ; Hyacinthe a eu de meilleurs rôles, mais il joue celui-ci comme s’il était excellent. Nous reparlerons du succès qui a grandi aux représentations suivantes. Souhaitons la même bonne chance à la reprise du Pont des Soupirs, moins heureuse, il faut le reconnaître, que celle de Geneviève de Brabant. Toutefois, signalons le succès de Dupuis dans le Malotromba qu’il agrémente à sa façon, pour le rendre tout nouveau ; le maestrino a écrit pour lui une romance inédite, intercalée au 2e acte et qui est fort gracieuse. Thiron joue en fin comédien le rôle de Cornarino et tant bien que mal s’improvise ténor. Grenier et Hamburger sont très-plaisants au Conseil des Dix. Mlle Garait, d’ailleurs très-avenante, ne nous rend pas les sympathiques accents de la pauvre Pfolzer. Mlle Tautin a repris son rôle de Catarina ; c’est la même verve, mais nous l’engageons vivement à éviter ces glissés et ces portés de voix perpétuels qui allanguissent son chant. Le choeur inédit du Conseil des Dix est réussi, et la mascarade du dernier acte très-brillante.

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H. MORENO.

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