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Théâtre des Variétés

Revue et gazette musicale de Paris – 30 octobre 1853

PÉPITO,

Opéra comique en un acte, libretto de MM. Léon Battu et Moineaux, partition de M. Jacques Offenbach.

(Première représentation le 28 octobre 1853.)

Le théâtre des Variétés essaie de rentrer dans la voie lyrique où l’avaient mis Cherubini, Boïeldieu, Gaveaux, lorsqu’ils y firent jouer et chanter la Prisonnière, le Diable couleur de rose, le Bouffe et le Tailleur, etc., et lorsque, plus tard, nous lui fîmes lancer nous-même dans la circulation musicale force mélodies qui sont devenues populaires.

Pepito est un petit drame d’amour intime à trois personnages, une fine et délicate analyse des sentiments du cœur, un proverbe enfin qui aurait pu se produire sous ce titre : Les absents ont tort, attendu que le soldat Pepito, qui doit revenir de Cadix pour épouser la maîtresse d’une possada, ayant pour enseigne A l’espérance, est remplacé dans le cœur de la jeune etj olie aubergiste par son ami Miguel. Telle est l’intrigue de ce libretto, dans lequel figure encore le voisin de la charmante hôtelière, aubergiste aussi de son état, sorte de Figaro, qui barbifie, arrache des dents, saigne, purge ses concitoyens, leur distribue des lettres, comme directeur des postes de l’endroit, et joue du serpent à la paroisse. Ce grotesque et multiple fonctionnaire, qui, de plus, est amoureux aussi de la jeune hôtelière, se trouve éconduit et mystifié, comme on le pense bien, et tout finit en ce beau jour par les liens de l’hymen et l’amour, comme on dit en vers d’opéra comique. Le libretto de celui-ci est amusant et musical. M. Offenbach a brodé sur ce canevas un charmant tissu mélodique et d’une couleur toute ibérienne. Si cela manque de mesure, de concision, surtout pour les habitués de l’endroit, qui ne comprennent pas trop le développement, la logique d’une pensée dramatique ou musicale, ces auditeurs n’en ont pas moins été séduits par la couleur locale, le pittoresque de l’instrumentation, et ils ont justement applaudi tout cela. On a remarqué en ce genre l’ouverture, qui réunit toutes les conditions de la musique espagnole, le fandango, le boléro, le tambour de basque et les castagnettes, cet instrument national qui compte, dit-on, d’habiles professeurs dans les conservatoires de la péninsule ibérique.

Mlle Larcena, prima donna du théâtre des Variétés, et chargée du rôle de Juanita, Pepita, Manuelita ou Mariquita, l’a dit et chanté en cantatrice qui a de l’avenir, par sa jolie figure, sa jolie voix et sa jolie méthode. M. Biéval, qui débutait par le personnage de Miguel, possède une voix de ténor d’un timbre doux et sympathique ; et quand l’étude lui aura fait acquérir un peu plus d’énergie vocale, il sera entendu avec plaisir sur nos premières scènes lyriques : il a dit avec une expression vraie et dramatique les deux couplets de la romance en sol majeur et mineur, alternativement ; charmante pensée musicale du compositeur, dont le sens est à peu près : Alors je n’aimais pas, non, et j’aime à présent. Le débutant s’est fort bien acquitté également de ses duos d’amour et du trio bachique, modulé d’une façon originale et d’un effet entraînant. M. Leclerc, dans son rôle de Vertigo-Figaro, s’est montré l’héritier des Lablache, des Tamburini, et de tous les barbiers lyriques d’Espagne et d’ltalie. Les parodies et les charges musicales écorchent ordinairement les oreilles délicates dans les théâtres de vaudevilles. Le compositeur et son interprète se sont montrés ici parodistes ingénieux et fins d’il gran’ maestro. L’imitation est amusante en même temps que musicale, et le compositeur, et l’acteur, et le chanteur suffisant — ce mot pris dans toutes ses acceptions — ont obtenu un égal succès. L’un s’est mis par ce début au rang des compositeurs dramatiques, et l’autre est depuis longtemps classé parmi les comédiens aimés du public.

HENRI BLANCHARD.

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