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Variétés

La Comédie – Dimanche 25 décembre 1864

La Belle Hélène, opéra bouffe en 3 actes, de MM. Meilhac et Ludovic Halévy, musique de M. Jacques Offenbach.

Homère serait le premier à en rire, — car enfin ce grand aveugle a dû exister, quoique en ait dit et redit contrairement une foule savantissime. Il y a de la gaieté à foison, il y a... mais commençons ab ovo.

Tout le monde sait qu’une femme a perdu le genre humain, de même qu’une femme a perdu Troie. Une pomme fit chasser Eve du Paradis terrestre, les conséquences d’une pomme poussèrent Agamemnon à donner la chasse à la famille de Priam, [« ]Cherchez la femme » disait un magistrat ; pourquoi ne dirait-on pas « cherchez la pomme ? » — Hélène était une femme, et quelle femme ! Seulement au lieu d’être la femme d’un notaire, elle eut le tort d’être l’épouse d’un des Atrides. Son escapade qui dans le premier cas aurait tout au plus occasionné un procès en séparation... de biens, produisit une guerre immense, acharnée. Il est vrai aussi qu’Hélène, simple bourgeoise, en jetant son bonnet par dessus le moulin conjugal, son nom n’aurait figuré que dans la Gazette des Tribunaux de Sparte. La faute de cette femme nous donne d’un côté une capitale détruite, un peuple subjugué, des rois égorgés ; de l’autre, cette grande épopée, ce chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre, l’lliade. Il y a compensation... jusqu’à un certain point. Ajoutez à Homère tous les poètes mineurs qui ont mis la femme de Ménélas en tragédie, en drame, en chanson, en sonnets, et vous trouverez que si la belle princesse a fait couler des flots de larmes et de sang, elle n’a pas fait économiser les bouteilles d’encre.

MM. Offenbach, Halévy et Meilhac ont mis en parodie une page de l’Iliade. Tirons l’échelle, s’il vous plaît, mais ne soyons pas étonnés, car c’est la moindre des choses qu’on puisse faire de toucher à Homère aujourd’hui où l’on discute le Christ comme on discuterait le talent d’un jeune premier de Bobino.

La Belle Hélène est moins la parodie d’un chef-d’oeuvre que la parodie de l’antiquité. Transformez-la, et vous aurez la tragédie selon les prescriptions d’Aristote : unité de temps, unité d’action, unité de lieu, — en supposant que les bains de mer de Nauplie, où se passe le troisième acte, se fussent trouvés dans les murs de Sparte. Et on n’a pas oublié non plus cette grande déesse à laquelle on faisait faire et défaire tout, suivant le bon plaisir des auteurs, la Fatalité. Car c’est la Fatalité qui pousse Pâris à deviner les charades et les bouts rimés proposés par Agamemnon au Congrès des Rois ; c’est la Fatalité qui fait couronner le berger par la belle Hélène ; c’est la Fatalité, aidée par le grand Augure, — jouant un bien beau rôle, ma foi ! — qui conseille à Ménélas un voyage d’agrément ; c’est la Fatalité qui fait entrer dans la chambre à coucher d’Hélène le beau Dupuis, c’est-à-dire le beau Pâris juste au moment où celle-ci en rêvant croit attacher des couronnes à l’autel de Vénus ; c’est la Fatalité qui fait troubler ce tête à tête par le mari trompé ; c’est la Fatalité qui fait débarquer à Nauplie — le Trouville de ce temps — sous un déguisement d’Augure le berger Pâris qui enlève la princesse à la barbe des Atrides et de tous les rois de la Grèce ; c’est la Fatalité qui a inspiré aux auteurs un libretto d’une bouffonnerie achevée ; c’est la Fatalité qui a fait écrire par Offenbach une musique bouffonne qui accompagne dignement le poème, comme le Lionnet junior accompagne le Lionnet senior, c’est la Fatalité où la liberté des théâtres enfin, qui a fait jouer aux Variétés ces trois actes destinés au théâtre du passage Choiseul. Et qu’on vienne nous dire qu’il ne faut pas être fataliste !

N’est ce pas la Fatalité qui a doué Offenbach de ce sens artistique anti-allemand et tout parisien ? N’est-ce pas elle qui lui a ouvert à Paris, à lui étranger, une carrière dans laquelle tant de Français ont de la peine à entrer ? N’est-ce pas elle qui lui a semé des roses aux Bouffes... en lui permettant de laisser les épines à ses successeurs ? N’est-ce pas elle qui lui fait avoir un succès à un théâtre situé à deux pas de la tombe de Barcouf ?

Peut-être, madame, n’êtes vous pas fataliste, et nous sommes d’accord, ne l’étant pas moi non plus. Seulement, je voudrais avoir l’honneur de vous dire que cette nouvelle partition, sans avoir l’originalité des Bavards et la finesse de la Chanson de Fortunio, est très amusante, mouvementée, drôle en un mot. Ne me demandez pas des détails, je ne saurais vous en donner. On a ri au dialogue et aux couplets, on a ri à tout. Ce rire incessant a engendré dans ma tête une grande confusion, et lorsque je veux louer le trio, — un mélange de Guillaume Tell et d’Orphée aux Enfers, — lorsque je vois la manière magistrale dont Agamemnon-Couder lève la jambe en chicard consommé, je me souviens qu’il faudrait parler, en premier lieu, du récit du berger Pâris au premier acte, ou des couples d’entrée des rois de la Grèce, ou bien du finale du départ de Ménélas pour la Crète, ou bien encore du duo du rêve... réaliste, des couplets du faux augure, et que sais-je ?

Je n’ai que des éloges à adresser à tout le monde. Dupuis-Pâris, Kopp-Ménélas, Couder-Agamemnon, Grenier-Augure, trichant au jeu comme un simple grec, ont été superbes.

Mlle Schneider, que je réservais pour la bonne bouche, a été parfaite de beauté et de drôlerie. Je ne sais pas si, chez elle, j’aime plus son jeu que sa jolie tête blonde, sa petite voix caressante, que ses éblouissantes épaules, ses bras statuaires, ses blanches mains, sa taille élégante et ses diamants. Elle me plaisait au Palais-Royal, elle me plaît maintenant aux Variétés, et j’avoue qu’elle me plairait après... je ne sais où.

CARLO DALBI.

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