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Audition des Contes d’Hoffmann d’Offenbach

Revue et gazette musicale de Paris – 25 mai 1879

Dimanche dernier, M. Offenbach réunissait chez lui un public nombreux, vrai public de premières ; critiques, artistes, musiciens, peintres , se pressaient dans les salons du maestro pour entendre d’importants fragments de sa partition les Contes d’Hoffmann. MM . Michel Carré et Barbier écrivirent jadis sur ce sujet une pièce , qui fut représentée à l’Odéon : elle plut à Offenbach, qui voulut la mettre en musique. Cette féerie, composée en vue du Théâtre-Lyrique, fut naturellement reçue par M. Vizentini. On sait l’odyssée de ce directeur intelligent mais malheureux : les Contes d’Hoffmann rentrèrent dans les limbes où errent ces pièces reçues et non représentées. Mais une partition d’Offenbach n’est jamais perdue ; M. Jauner, le directeur de l’Opéra de Vienne, s’en empara. Avant de laisser partir sa musique au delà des frontières, le maestro a voulu en même temps donner [à] Paris un regret et un espoir : de là cette très-intéressante audition de dimanche dernier, qui a eu pour ainsi dire l’importance d’une première représentation.

Du poëme, nous ne dirons rien ; il est imprimé et nos lecteurs sont censés le connaître. Rappelons seulement que Hoffmann, aidé du fantastique docteur Miracle, aidé aussi par la Muse qui, sous les traits de l’étudiant Nicklause, est le deus ex machina de la pièce, guide lui-même à travers les aventures les plus inattendues ses fantastiques personnages, qui passent au son du violon enchanté. La douce et mélancolique Antonia représente, dans la pièce, l’élément gracieux et tendre.

Le sujet appartient donc à la fantaisie, et M. Offenbach a pu se livrer sans réserve à toute sa verve et faire appel à toute son originalité. C’est une féerie, mais une féerie poétique. Pour en prendre le ton, le compositeur a complétement changé sa manière : ou plutôt, nous retrouvons· en lui l’Offenbach d’avant l’opérette. Plus de rhythmes sautillants, plus de couplets de facture, plus de flons-flons brillants et légers ; l’aimable muse qui a inspiré la Belle Hélène a pris un pas plus mesuré et plus grave, elle a su même à l’occasion devenir rêveuse et attendrie. Des excursions que M. Offenbach a tentées dans la musique sérieuse, celle-ci est sans contredit la meilleure et paraît avoir toutes les chances de succès.

Le premier morceau est une sorte de prologue, où le poëte appelle a son aide les esprits des vins et de la bière ; il est d’un style large et mélodique, et le chœur, se soutenant par des notes piquées comme des pizzicato, est d’un excellent effet. Le duo du reflet (4e acte) est scénique et bien composé, et la phrase du ténor pleine de chaleur et de tendresse. Dans la Rêverie d’Antonia, M. Offenbach est absolument sorti de son style et de sa manière ; cette rêverie a comme un vague reflet des gammes de Gounod, elle est modulée avec une grande élégance, et Mme Franck-Duvernoy l’a fort bien chantée. Les deux scènes principales entendues dimanche sont le chœur des étudiants, avec la légende de Klein Zach et la vision, et le trio de la tombe. Dans le premier morceau, très-important, le chœur a une franchise d’allure et une maestria qui lui a valu un bis unanime. Ce refrain, habilement et franchement ramené, est entraînant sans avoir rien de vulgaire. La légende de Klein Zach, composition fantastique pleine d’humour et d’originalité, rappelle les ricanements et la verve diabolique de Méphistophélès. Le trio de la tombe a une élévation et une sévérité de style que nous n’avions pas l’habitude de rencontrer chez l’auteur de la Grande Duchesse. La barcarolle, bissée comme le chœur des étudiants, est une des meilleures pages d’Offenbach dans le genre gracieux ; elle est élégante, mélodique et écrite dans un excellent style vocal.

Mmes Franck-Duvernoy et Lhéritier, MM. Aubert, Auguez et Taskin étaient chargés d’interpréter ces fragments. Mme Duvernoy a chanté avec beaucoup de goût et de sentiment la Rêverie d’Antonia ; Mme Lhéritier, une chanteuse habile et expérimentée, a fort bien rempli les rôles de la Muse et de Nicklause. Le piano était tenu avec talent par M. Duvernoy. Les chœurs, dans lesquels on distinguait les jeunes et charmantes filles du maestro lui-même et Mme Vizentini, ont très-correctement marché, conduits par MM. Vizentini et Offenbach. Ils avaient étudié sous la direction de M. G. Masson.

Nous apprenons, au dernier moment, que M. Carvalho a accepté pour l’Opéra-Comique les Contes d’ Hoffmann, que le public parisien connaîtrait ainsi avant celui de Vienne. Nous en félicitons sincèrement le compositeur et le directeur.

H. L.

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