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Opéra-Comique

Le Figaro – Samedi 13 mars 1869

Première représentation de Vert-Vert

MM. Henri Meilhac et Charles Nuitter n’ont point essayé de faire mystère de leur emprunt ; ce n’est pas la très amusante et très spirituelle polissonnerie rimée par Gresset qu’ils se sont proposé de transformer en opéra-comique : ils sont allés à l’imitation de seconde main par le plus court chemin et au grand jour, – procédé loyal, moyen honnête de la faire excuser et accepter. Imitation ne rend peut-être pas le travail d’arrangement auquel ils ont eu recours ; emprunt, dont je m’étais servi d’abord, disait plus nettement et plus sincèrement la chose.

Et, en effet, le Vert-Vert, opéra-comique représenté le 10 mars 1869, diffère si peu du Vert-Vert, vaudeville joué le 15 mars 1832, que M. de Leuven – qui est l’un des deux auteurs de celui-ci et qui vient de faire les honneurs de son salon chantant à celui-là, – ne doit plus savoir au juste distinguer entre son enfant et son hôte. Il a d’ailleurs intérêt à présent à leur garder une tendresse également partagée.

L’épisode de la Corilla, prima dona du théâtre de Nevers, et du ténor Bellecour, qui s’est enroué en faisant un plongeon du coche dans la Loire, est le seul changement introduit, je crois, par MM. Meilhac et Nuitter dans la pièce de MM. de Leuven et Desforges.

Dans le vaudeville du Palais-Royal, Vert-Vert, après s’être grisé avec deux capitaines de dragons mariés à deux pensionnaires du couvent de Saint-Eloi, leur ouvrait la porte du monastère et les introduisait, la nuit venue, auprès de leurs femmes. C’est mademoiselle Mimi – Une ingénue déguisée en dragon pour suivre sur le coche de Nevers son ami Valentin, – qui, dans le Vert-Vert rajeuni et mis en musique, fait prendre d’assaut un couvent de demoiselles par le régiment du comte d’Arlange et du chevalier de Bergerac.

A ces changements près au deuxième acte, les personnages du Palais-Royal sont entrés à l’Opéra-Comique pour y faire même figure et y jouer le même rôle. Le jardinier Jobin s’est appelé le jardinier Binet, et –échangeant un calembour qualificatif sous le voile transparent de la synonimie. – Léger, maître à dansé joué par Bainville, est devenu Baladon, maître à danser, sous les traits de l’excellent Couderc. L’un et l’autre est marié secrètement à la sous-directrice du couvent, le même masque de prude et d’Arsinoé recluse sous deux visages maussades : mademoiselle Bonchamp, mademoiselle Paturelle.

A ce sujet, d’une gaillardise fort adoucie, M. Jacques Offenbach a adapté une musique gaie, aimable, point ambitieuse, point cherchée, telle, en un mot, qu’en trouve sans effort au bout de sa plume le plus abondant, le plus intarissable des improvisateurs. Ayant à faire gazouiller des petites pensionnaires, à faire chanter discrètement les amours de mademoiselle Mimi et de son ami Valentin, M. Jacques Offenbach, maître de son art et de son public sur tant de petites scènes, s’est dit avec raison qu’il fallait proportionner son ambition à sa tâche et mettre son inspiration au diapason des dillettantes [1] qui sont venus l’entendre et l’applaudir. Malheur au musicien qui voudrait, à l’Opéra-Comique, travailler à l’éducation du public, se faire son maître au lieu de rester, chapeau bas, son très humble serviteur ! Dans ce vol ambitieux et maladroit, les ailes de l’infortuné seraient de cire plus fondante que celles du mythologique Icare. On compte pourtant sur ce même théâtre, me direz-vous, des Icares très audacieux, mais aussi très heureux. Avec des ailes de rechange – ailes d’aigle, ailes de cygne, – Hérold s’est élevé bien haut dans Zampa et le Pré-aux-Clercs. – Je vous l’accorde ; mais vous m’accorderez aussi qu’après avoir franchi des hauteurs dans le deuxième acte du Songe d’une nuit d’été, Ambroise Thomas s’est vu précipiter des cieux avec sa Psyché, qui était son chef-d’œuvre à ce théâtre. Et pour ne parler ici que d’un musicien dont le nom est resté populaire, le jour où il donnait le Postillon de Longjumeau, Adam n’était-il pas mieux inspiré que le jour où il faisait représenter sa Giralda ? Croyez-moi, jeunes compositeurs, à défaut du génie souriant d’Auber, ayez sa fine politique ; montrez que vous avez des ailes, si l’inspiration vous en dit, mais que ces ailes vous aident à marcher seulement !

Dieu me pardonne ! me voici, à l’exemple de Me Baladon, « faisant de l’esthétique ! » Allons de la critique, malheureux ! Et terre-à-terre encore !

On a applaudi, dans le Vert-Vert de M. Jacques Offenbach, au premier acte, un trio chanté par M. Gaillard (avec une fort bonne voix), mademoiselle Moisset et Sainte-Foy ; le duo bouffe de la Clef dit par Couderc et mademoiselle Revilly, et le final du départ de Valentin. Le rideau baissé, les spectateurs, au foyer et dans les corridors, en écorchaient avec feu la phrase de la Strette, ce qui prouve que ce motif si vite popularisé a plus de vivacité que de distinction.

Aux deuxième acte, l’Alleluia murmuré par la douce voix de Capoul a été vivement applaudi. Le chanteur a dû le répéter. La baccanale du second final est la page la plus développée d’une partition où les petits morceaux se succèdent au grand contentement des auditeurs qui, dans un un opéra comique, ne veulent pas être distraits de leur plaisir par la musique. Dans ce final avec chœur et deux orchestres, on ne compte pas moins de trois chansons à boire. Pour rendre cette progression bachique sans se refroidir et sans ennuyer, le compositeur s’est dit que la verve devait l’emporter ici sur la qualité et la nouveauté des idées, et que, mettant en mouvement de grandes masses, la mélodie devenait la très humble servante du rhythme et, à toute rigueur, pouvait être foulée aux pieds de ce bruyant despote.

Il y a, au troisième acte de Vert-Vert, un joli nocturne dit à demi-voix par quatre groupes amoureux.

La critique, en enregistrant le succès de Vert-Vert, succès à peine troublé par quelques protestations isolées, doit signaler des longueurs dans l’ouvrage. Faut-il retrancher au poëme ou à la musique ? Point de préférences, si vous m’en croyez. En élaguant ça et là quelques branches parasites dans l’une et dans l’autre, peut-être arrivera-t-on à les mieux équilibrer tous deux.

Capoul a bien détaillé les portions à demi-voix de son rôle. Il ne m’a pourtant pas semblé entièrement remis de l’enrouement qui a retardé la première représentation de Vert-Vert. Je suis tranquille ! Capoul chantera aux représentations suivantes avec tous ses moyens. Couderc, faisant en musique l’histoire des révolutions de la danse (un bon morceau scénique), est bien original et bien divertissant.

Le rôle du jardinier Binet n’est ni comique ni nouveau ; mais assurément la faute n’en est pas à Sainte Foy. Potel a gasconné à la plus grande joie du parterre. Quand on possède une voix vibrante, c’est pour la faire... vibrer ; d’accord : mais M. Gaillard abuse peut-être d’une vérité élémentaire. Ponchard joue au naturel un ténor qui a perdu sa voix. Mademoiselle Girard fait la Corilla ; le rôle est peu de chose. Mademoiselle Cico chante la pensionnaire Mimi, et le rôle n’est rien.

L’orchestre de l’Opéra-Comique – qui allait de ci de là comme un vaisseau démâté et sans direction – a enfin rencontré un vaillant capitaine, M. Deloffre.

Benedict.

[1Sic.

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