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Bouffes parisiens

Le Figaro – Dimanche 24 juin 1855

NOUVEAU THÉÂTRE DES CHAMPS-ÉLYSÉES

Notre ami, Jacques Offenbach, le violoncelliste, chef d’orchestre du Théâtre-Français, vient d’obtenir le privilége d’un nouveau théâtre qu’il exploitera aux Champs-Elysées, en face du Cirque-Olympique, sous ce titre affriolant : Bouffes parisiens ; – le titre dit tout ce que sera son répertoire ; – la salle est petite, élégante et confortable : – c’est une salle de plus consacrée au rire franc, à la fantaisie, à la mélodie leste et pimpante, aux hardis et mélodieux refrains.
Quoique le nouveau directeur se propose d’user, à l’occasion, de la permission de se recevoir et de se jouer quelques-unes de ces scènes lyriques qu’il compose si vivement et si gracieusement, il a trop d’esprit, trop de tact et d’intelligence de sa bonne petite affaire, pour abuser jamais de cette liberté grande ; – et, nous sommes sûrs de ne pas être démentis par les faits, en nous portant garants, pour lui, près des compositeurs ses confrères, qu’il tiendra toujours ouverte la porte de son théâtre à la verve, à l’inspiration, à la grâce, à la rêverie musicale, d’où qu’elles viennent. – L’opérette de salon, la scène lyrique, la symphonie, le duo, la romance, le lied, la canzone, la chanson, voilà ce qu’il faut aux bouffes, et, pourvu que tout cela soit original, distingué, artistique et surtout sans banalité, l’auteur quel qu’il soit sera le bien reçu, comme l’œuvre bien exécutée.
La musique, la pantomime et la danse se chargeront de varier le spectacle, en combinant dans une même soirée trois plaisirs et trois arts en un seul.
Voici quelques-uns des noms qu’Offenhach nous promet :

Dans l’opéra-comique et le concert
M. Darcier, talent original et puissant ; – le Frédérick-Lemaître des concerts ; compositeur et exécutant de première force ; quand il trouvera un type qui convienne à sa nature et à son talent, Darcier jouera son rôle dans une scène, au lieu de se borner à le chanter, ce sera double attrait ;
M. Pradeau, premier comique dé Bordeaux, il chante et joue bien ; M. Berthelier, jeune ténor dont la voix rappelle, dit-on, par son étendue celle de Sainte-Foy ; – Mademoiselle Macé, du Gymnase, voix sympathique à la Déjazet ; – Rosambeau, fils du fameux Rosambeau ; – M. Léopold Amat, l’excellent Trouvère, le dernier des troubadours, le spirituel compositeur de la Feuille et le Serment ; etc.

Dans la pantomime et le ballet :
Le père LAPLACE, le fameux Cassandre des Funambules ; –
ce nom dit tout pour l’amateur ; Derrudder, jeune présomptueux de mérite qui se fera connaître, dans les pierrots anglais, clowns, arlequins et même les polichinelles ; – on a enlevé ces deux artistes en payant leur dédit ; – M. Négrier, jeune danseur, très gentil, gracieux et comique ; il tiendra les Léandre ; M. Lafféli, jeune pierrot qui ne demande qu’à faire ses preuves ; – Mademoiselle Mariquitta, seize ans, jolie, arrivant de Bruxelles, avec une jolie, voix et des jambes charmantes dont elle sait se servir, comme une seconde Carlotta Grisi ; – enfin, des petites danseuses danoises étourdissantes, qui nous arrivent de là-bas, précédées d’une immense réputation.
Nous ne saurions trop engager Offenbach à songer, avant tout, à se procurer, à tout prix, un fort Polichinelle ; c’est la base de l’édifice ; il faut restaurer le Polichinelle ; c’est urgent, ou la comédie languira aux Bouffes, comme elle languit aux Français.
Maintenant, nous vous dirons bien bas, bien bas, que M. Duponchel a promis à Offenbach de lui donner en ami d’excellents conseils pour la mise en scène ; que M. Mathieu, de l’Opéra, doit donner son concours à l’œuvre ; que Cambon peindra les décors et Florentin, de la Gaîté, dirigera les machines ; que M. Fatou et madame Gauthier, de l’opéra, exécuteront les costumes ; – que M. Placet, l’ex-chef d’orchestre du Théâtre Lyrique dirigera vingt exécutants d’élite, et que
M. Amat concourra à la bonne administration du théâtre. – Les Bouffes seront donc un Opéra en miniature, un Opéra vu par le gros bout de la lorgnette.

L’ouverture aura lieu, du 25 juin au 1er juillet, par :
– Un prologue en vers… de Méry ? – cela va sans dire ;
Les Deux Aveugles, paroles de Moineaux, auteur de la Question d’Orient qui eu tant de succès aux Variétés, musique d’Offenbach, bouffonnerie musicale ;
La Première Nuit de Noces, opérette, à trois personnages,
pour Darcier.
– La pantomime-arlequinade sera le Barbier de Séville, sans
les paroles, mais, avec la musique de Rossini, invité spécialement à cette solennité.
Ouf ! nous, avons fini, cher Offenbach, cette mirifique et splendide réclame-annonce. Nous avons fait pour vous ce que nous n’avons fait jusqu’ici pour personne. Tâchez de faire ce que personne n’a fait jusqu’ici pour nous méritez toujours nos éloges ; et en avant le succès !…

H. de V.

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