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Causeries musicales

L’Artiste – 25 février 1855

A MONSIEUR VILLEMOT.

Monsieur et cher confrère, – puisque vous jouez avec la guitare de Figaro des variations sur tous les motifs de la symphonie parisienne, – vous parlez, avec votre charmant esprit, de tout ce qui se fait à Paris, et même de tout ce qui ne s’y fait pas, – mais vous avez eu l’imprudence de lancer à M. Jouvin, je ne me souviens, plus à quel propos, une question dont vous n’avez sans doute pas calculé toutes les conséquences fâcheuses. Vous réveillez sans le vouloir toutes les ophicléides, tous les trombones, toutes les clarinettes, tous les violons et autres instruments saxophoniens qui dormaient encore du sommeil du juste, en attendant l’heure de se ;réveiller pour jouer faux. Voici donc cette imprudente, cette audacieuse, cette malencontreuse, cette intempestive, cette singulière, cette indiscrète question, vous demandez, cher confrère, à votre ami Jouvin, ce que deviennent les concerts !

Ce que deviennent les concerts !!! Vous ne vous promenez donc jamais aux alentours. des salles Herz, Pleyel, Sainte-Cécile, Sax, Érard ! Vous entendriez certes des sons plus discordants que tous les souffles enfermés dans les outres, d’Éole dont parle la fable antique...

Vous ne regardez donc jamais les affiches jaunes, grises, rouges, vertes, indigo, cramoisies, violettes, mordorées, qui pullulent aux angles des rues ainsi qu’aux vitraux des éditeurs de musique et de quelques cafés attendris par la consommation des bénéficiaires ! Et notez, cher confrère, que l’hiver vient seulement de naître, je ne parle pas de l’hiver sibérien qui dure depuis quatre-vingt-dix jours, mais bien de l’hiver musical, c’est-à-dire, de cette saison de six semaines où chaque soirée est encombrée de cinq à six concerts du premier ordre. N’oubliez pas, non plus, que les affiches, ci-dessus mentionnées, n’annoncent pas seulement un concert, mais bien une série de cinq à six pour le moins.

Ah ! monsieur, vous êtes inquiet de savoir ce que deviennent les concerts ! Permettez-moi de dérouler devant vous le panorama de ces réjouissances antiques et solennelles ; dont le plus grand attrait consistera toujours dans le plus grand nombre de billets donnés. Et alors, monsieur, si vous n’êtes pas content, – et que vous croyiez devoir réclamer par-devant l’autorité – la restauration des concerts, faites-le ; seulement je vous souhaite d’avoir à vos trousses toutes les clarinettes aveugles des ponts et tous les orgues de Barbarie de Paris. Dieu et M. Piétri en savent, seuls, le nombre.

Les concerts du conservatoire ont recommencé sous la direction de M. Girard. On y exécute avec la même perfection la même musique, devant le même public et contre les mêmes recettes ; les mêmes passages des mêmes symphonies sont applaudis depuis trente ans par les mêmes auditeurs, avec le même enthousiasme. Cependant, nous ne garantissons pas que ce monde peu changeant ait conservé les mêmes cheveux et les mêmes dents. Les mêmes femmes n’ont peut-être plus le même amant, mais, à coup sûr, les maris ont encore leur même femme.

Ces concerts sont au nombre de neuf, veuillez le remarquer, monsieur Villemot.

La Société Sainte-Cécile a déjà donné trois concerts cette année. Là, c’est le contraire du Conservatoire. Tout est dérangé, tout y est nouveau, même le chef d’orchestre, qui se nomme M. Barbereau ; musicien de beaucoup de savoir. Cette société donne dix concerts par hiver, qu’en dites-vous, monsieur Villemot ?

La société des jeunes artiste a déjà donné plusieurs matinées. Dans la dernière, elle a exécuté une belle marche religieuse d’Adolphe Adam, et un allegretto, puis un menuetto de Gounod. L’allegretto se. distingue par une grâce exquise, la fin seulement nous en paraît un peu écourtée. Quant au menuetto d’un style classique des plus purs, nous ne connaissons rien de plus séduisant que le chant dialogué de la flûte et du basson ; dans le trio de ce délicieux morceau, il y a surtout une rentrée, jouée à l’unisson par les violons, qui a excité l’enthousiasme du public. L’exécution a été parfaite sous la direction de M. Pasdeloup. La société des jeunes artistes donne huit concerts par an !

Les matinées de musique de chambre de Franchomme et d’Alard sont très-suivies. Alard, notre plus élégant violoniste, et Franchomme, un de nos meilleurs violoncellistes, font, de ces matinées, de véritables fêtes musicales. Ces messieurs donnent six matinées.

MM. Lebouc et Paulin donnent six séances de musique classique.

Qu’en pensez-vous, monsieur Villemot ?

MM. Chevillard, Mas, Sabatier et Maurin, sont de la force de six concerts par hiver, comme les précédents ; ils ont un public à eux, pour le compte de Beethoven, et obtiennent toujours le succès réservé aux pieux conservateurs de reliques musicales ou autres.

Voici madame Pauline Viardot – la George Sand du chant, – qui, elle aussi, donnera quatre séances de musique classique.

Que dites-vous, mon cher monsieur Villemot, de de léger bagage musical ?

Croyvez-vous encore à l’absence des concerts ? Et notez bien que je ne vous ai pas encore parlé de tous les pianistes qui en ont donné, donnent ou en donneront cet hiver. Je pourrais cependant vous parler de Ravina, au jeu élégant ; – de Fumagalli, au jeu foudroyant ; – de Prudent, au jeu émouvant ; – de Lacombe, au jeu larrmoyant ; – de Brisson, au jeu brillant ; – du jeune Ghis, au jeu turbulent ; – de Rosenhain, au jeu savant ; – de Herz, au jeu californiant, et, pour finir. cette kyrielle de pianistes, du nouvel arrivé, Alfred Jaëll, au jeu des plus étonnants. Et le concert de mademoiselle Ducrest, les matinées de madame Pierson-Bodin, Boulée, d’Ernesta Grisi, – et le concert de M. Lavessière, où il y avait vingt-sept morceaux de musique, mais beaucoup moins d’auditeurs, et le concert de M. Ropicquet, qui nous a joué sur son violon une charmante valise intitulée les Clochettes ! Eh bien ! monsieur et cher confrère, êtes-vous satisfait et n’avouerez-vous pas enfin, avec moi, qu’il y a presque autant de concerts à Paris que de chiens errants à Constantinople ?

Du reste ; quant à moi, si j’aime par habitude et un peu par nécessité ces réunions musicales, j’avoue que la couleur des affiches règle, la plupart du temps, mon opinion sur le genre du public qui en est victime. Ainsi, les affiches blanches représentent les concerts officiels et des jeunes pensionnaires ; les affiches vertes, concerts de jeunes filles (bonnes à marier) ; affiches roses, concerts de jeunes femmes ; affiches jaunes, concerts de tous les maris entre quarante et soixante ans ayant plus de dix ans de mariage.

Veuillez agréer, monsieur et cher confrère, l’assurance de ma sympathique considération.

JACQUES OFFENBACH.

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