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Concerts

Le Figaro – Dimanche 6 mai 1855

Concert d’Offenbach : – Le Décaméron. – Mademoiselle Luther. – Stella. – Concert de madame Sabatier – A Deux pas du Bonheur ! proverbe-lyrique de salon, par madame Roger de Beauvoir. – La Volière, opéra de salon, par Nadaud.

Le concert de M. Offenbach m’a paru excellent, – par la raison que ce n’était pas un concert, – du moins dans sa deuxième partie, – mais bien une fantaisie où, s’unissant sans s’effacer, la poésie, la comédie et la musique se tenaient embrassées, la main dans la main, comme le groupe des Trois Grâces. Je ne vous dirai rien de l’auteur de la Grotte d’Azur ; M. Méry se fait sa part, aujourd’hui même, dans le feuilleton
de Figaro ce sera la part du poète. Restent la composition et l’exécution, – ou, pour parler plus exactement, l’aspect de cette ode-symphonie ; car par l’harmonie des groupes, le Décaméron tient de la statuaire presque autant que de la poésie et de la musique.

Le ton général de l’œuvre de M. Offenbach est gracieux et coloré ; le musicien n’a pas élevé la voix plus haut qu’il ne fallait : cédant par instants, et de bonne grâce, la place au poète, il n’intervient qu’à la prière de ce dernier ; mais il n’est jamais à court lorsque son tour vient de prendre la parole. J’ai remarqué, dans cette ode-symphonie, une mélodie vaporeuse que la voix sans justesse de mademoiselle Poinsot a failli me gâter ; une marche villageoise, avec chant de hautbois, pleine de couleur ; les jolies strophes : Sur l’épine et sur
la rose
, avec accompagnement syncopé des instruments à vent.
Mademoiselle Marie Cinti-Damoreau les a dites avec une exquise délicatesse voix pure et style chaste, on eût dit deux ailes d’abeille se posant sur les vers du poète. Viennent ensuite un duo pour voix de femmes, et le finale où le public a justement applaudi une belle explosion de sonorité.
Stella Colas interprétait, avec mademoiselle Luther, la partie dramatique et récitée de l’œuvre. L’une était l’élan, la poésie, le drame ; l’autre, le trait, le sarcasme spirituel et le doux sourire. Mademoiselle Luther s’est montrée d’une espièglerie charmante dans ces à partè ; quant à Stella, dans cette traduction d’une œuvre inédite, où il fallait s’élever sans le tremplin de l’école et de la tradition, elle a trouvé d’admirables accents et rencontré, peut-être jusqu’ici, son plus beau succès.
Mais pour elle et pour nous, il faut qu’elle s’arrête là et qu’elle fasse une halte salutaire dans la méditation et l’étude. L’enfant prodige a disparu, l’artiste commence, et dans ce travail parallèle de la mue du corps et de l’intelligence, le repos est une loi inexorable de santé et de force. Encouragée et accueillie, il était bon que Stella fit ses preuves elle les a faites. Personne à présent ne doute de son. avenir ni les salons influents qui la patronnent, ni le Conservatoire dont elle est l’espoir, ni le ministre qui a bien voulu pensionner des
promesses de talent. Maintenant que chacun est édifié, il faut
se hâter de replacer le joyau dans l’écrin ; il faut que le ministre et la Comédie-Française fassent pour la jeune artiste ce que M. Pillet fit, dans le temps, pour Mario et Gardoni lui assurer une position jusqu’à ses débuts, afin de l’arracher à cette exhibition stérile des salons, qui est la traite des artistes, et courrait le risque d’émousser une à une de précieuses, d’éminentes facultés.

(…)

B. Jouvin.

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