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Correspondance

Le Figaro – Jeudi 3 juillet 1856

Mon cher Villemessant,

Vous savez, n’est-ce pas ; que l’ami Desolme tient une boutique et une arrière-boutique : la boutique est – une agence théâtrale ; – l’arrière-boutique est un journal, l’Europe artiste : – le journal éreinte les artistes qui ne sont pas inscrits sur les livres de l’agence, et celle-ci ferme sa porte au nez des acteurs qui ne sont pas portés sur les registres du journal. Quant aux directeurs de théâtre, c’est
une autre affaire, s’ils n’ont pas le bon esprit d’engager, les oreilles fermées, les sujets recommandés par l’agence, l’Europe Artiste les arrange comme il convient.

Personne moins que moi n’a le droit de se plaindre de la critique, car je l’ai toujours trouvée bienveillante, mais il s’agit ici d’une circonstance toute particulière, et c’est afin que nul n’en ignore, comme disent « ces gueux d’huissiers, » que je vous écris aujourd’hui, et c’est aussi dans l’espoir d’être utile à mes confrères, en leur signalant la voie déplorable où m’a conduit mon imprudence.

Voici les faits : J’ai refusé d’engager deux vieilles jeunes premières décochées sur mon théâtre par l’ami Désolme, et dans les derniers numéros de son journal, compositeurs, pensionnaires et directeur, nous sommes tous accommodés, « aux petits oignons. » Que faire en pareille occurrence ? Le plus sage serait, à coup sûr, d’apaiser les dieux irrités par la fumée… de quelque engagement, ou du moins, comme le vieux soldat de M. Scribe savoir, « souffrir et se taire, sans
murmurer » (bis). Mais, imprudent que je suis, j’aime mieux murmurer (bis), sans me taire.

J’aurais peut-être gardé le silence sur les critiques de l’ami Desolme, s’il se fût mis en frais d’imagination ; mais il ne m’a point fait cette galanterie. – C’est toujours la même phrase avec les mêmes vocalises, et encore m’a-t-il fait l’honneur de me l’emprunter. Ce qu’il y a de plus fort, c’est que lui, – qui sans conteste est un garçon d’infiniment d’esprit, – a l’air de ne pas l’avoir comprise. Si j’ai dit à son associé qu’à l’avenir j’étais décidé à n’engager que des artistes hors ligne, c’est que connaissant l’intelligence musicale de l’ami Desolme, j’étais convaincu que les talents hors ligne patronés par lui ne seraient pas à la hauteur du plus modeste de mes pensionnaires.

Laissez-moi, mon cher Villemessant finir avec deux calembours par à peu près, dédiés à un de nos amis communs : – L’Europe Artiste peut continuer ses attaques, ça m’est parfaitement Ugalde, et dire que je suis un crétin sans que cela me Désolme en quoi que ce soit. – Je soutiendrai toujours qu’IL a beaucoup d’esprit..

A vous,

Jacques Offenbach.

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