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Courrier des théâtres

Le Figaro – Lundi 22 mars 1875

GAÎTÉ : Représentation de Geneviève de Brabant, offerte par Offenbach aux typographes de la presse parisienne.

C’est la première fois – à notre connaissance – qu’un directeur de théâtre, tout comme un souverain, donne une représentation gratuite. Seulement Offenbach, n’ayant pas l’intention de faire sentir au gouvernement qu’il semble oublier les gratis d’autrefois, a fait ses invitations.

Il a convié chez lui cette classe de travailleurs, trop inconnus du public, les typographes, tous gens modestes et instruits qui piochent l’année entière depuis midi environ jusqu’à deux ou trois heures du matin.

Cette pensée de leur donner une journée de distraction germait depuis longtemps dans la tête du maestro-directeur, elle a été mise à exécution hier.

Nous nous faisons l’interprète des typographes de tous les journaux pour remercier Offenbach de cette fête de famille.

Allons, messieurs les directeurs, voici un bon exemple à suivre. – À qui le tour ?

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En moins de vingt minutes, la salle a été remplie, l’entrée s’est faite en très bon ordre ; nous avons remarqué que les premiers rangs des balcons et des galeries étaient occupés par les dames.

Dans les loges se trouvaient les directeurs et les rédacteurs des journaux.

On voyait dans l’avant-scène de gauche la famille d’Offenbach.

À une heure, Albert Vizentini agitait son archet et l’ouverture commençait au milieu d’un profond silence, – on sentait qu’il y avait là un vrai public.

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Au second acte, Offenbach est venu prendre le bâton du chef d’orchestre. À son entrée toute la salle lui fait une ovation qui a dû lui aller au cœur.

Dans l’entracte, le trouvant sur le théâtre, il me dit :

– Mon cher ami, j’ai conduit bien souvent dans ma vie, quelquefois c’était à des premières représentations dont je ne pouvait prévoir l’issue, eh bien, jamais je n’ai été ému comme aujourd’hui.

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Entre le troisième et le quatrième acte on a remis à Mme Offenbach une petite bande de satin roulée sur deux bâtons en bois doré. Sur cette bande on lisait imprimé en or ce qui suit :

MONITEUR UNIVERSEL
PETIT MONITEUR UNIVERSEL
PETITE PRESSE
AVENIR MILITAIRE
PETIT BULLETIN DU SOLDAT ET DU MARIN
MONDE ILLUSTRÉ
REVUE DE LA MODE

Souvenir de la Représentation du 21 mars 1875

À M. JACQUES OFFENBACH
DIRECTEUR DE LA GAÎTÉ

REMERCIEMENTS
des
TYPOGRAPHES ET EMPLOYÉS
de la
Société de Publications périodiques

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En même temps on apportait dans la loge directoriale un magnifique bouquet de violettes et de camélias arrivé ce matin même des jardins d’Alphonse Karr.

Dans ce bouquet se trouvait ce sonnet :

Les Compositeurs du FIGARO
DE L’ENTR’ACTE ET DE L’ÉCHO AGRICOLE

À MADAME OFFENBACH

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SONNET

Les yeux sont éblouis, les oreilles charmées…
Ces décors chatoyants et leurs chauds horizons,
Ces fleurs, ces diamants, ces parfums, ces rayons,
Les chants des anges blonds, les danse des almées.

Et toutes ces splendeurs abondamment semées,
Toute cette harmonie avec ces visions
Célestes, font vibrer milles sensations
En nos âmes encore tout enthousiasmées !…

Merci donc au vaillant émule de Linus
Qui nous a révélé ces charmes inconnus
Que la plume inhabile à chanter se refuse ;

Et pour garder longtemps encor ce souvenir,
Souffrez que nous osions en même temps offrir
Au maëstro l’hommage et les fleurs à sa Muse !…

21 mars 1875

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Mme Tréfeu, la femme de l’excellent administrateur de la Gaîté, le vieil ami de Jacques, n’a pas été oubliée. Elle a reçu aussi un très jolie bouquet, accompagné de ces mots :

Les Compositeurs du Figaro, de l’Entr’acte et de l’Écho agricole ont l’honneur d’offrir à Mme TRÉFEU ces quelques fleurs comme le témoignage de leur reconnaissance.

Ils la prient d’agréer l’expression de leurs sentiments les plus distingués.

Paris, le 21 mars 1875

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Que dire de la représentation ? Elle a été enlevée, il faudrait citer tout le monde et encore ferait-on peut-être des jaloux.

Contentons-nous de crier bien fort : Bravo et merci à tous.

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Le mot de la fin qui résume toute notre pensée nous est donné par un jeune typo qui à la sortie disait à son camarade :
– Eh bien sais-tu, Offenbach ? – C’est un bon garçon !

Gustave Lafargue.

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