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La Soirée Théâtrale

Le Figaro – Lundi 12 avril 1875

(…) Aux Variétés, on reprenait la Vie parisienne. En écoutant la pimpante musique d’Offenbach et les folles cascades de Meilhac et Halévy, une idée bizarre m’a traversé l’esprit.

– Cette opérette, me disais-je, est certainement l’une des plus franchement bouffonnes qu’il y ait au théâtre, et pourtant, si les auteurs l’avaient voulu, ils auraient pu très facilement en faire un mélodrame pour l’Ambigu. Meilhac, qui n’aime pas la musique, et qui le dit volontiers, aurait eu là une excellente occasion pour s’en passer.

Et comme je suppose que tous mes lecteurs connaissent la Vie parisienne, telle qu’on la joue aux Variétés, je veux esquisser rapidement le scénario de

LA VIE PARISIENNE
Drame en quatre actes

PERSONNAGES : le baron de Gondremarck, LAFERRIÈRE ; – Frick, PAULIN MÉNIER ; – Bobinet, SAINT-GERMAIN ; – Raoul Gardefeu [1], ABEL ; – la baronne de Gondremarck, Mlle FARGUEIL ; – Gabrielle, Mme DESHAYES ; – Métella, Mlle TALLANDIERA.

PREMIER ACTE. – Le théâtre représente la gare du chemin de fer de l’Ouest. Des employés et des facteurs vont et viennent. Deux jeunes gens, Bobinet et Raoul Gardefeu, brouillés depuis quelque temps pour une affaire de femme, attendent tous deux une nommée Métella, une courtisane de grand renom, qui doit arriver par le train de Trouville, Métella arrive en effet, mais elle est aux bras d’une troisième gommeux. Bobinet fait un pas vers elle. « Métella ! » s’écrie Gardefeu. Mais la courtisane passe fière et insolente, sans même daigner leur adresser une parole de pitié.

Alors Bobinet tend la main à Gardefeu :
– La trahison d’une femme nous sépara jadis, s’écrie-t-il, que celle d’une autre femme nous réunisse !

Et les deux jeunes gens se réconcilient.

Gardefeu, resté seul, en proie à d’amères réflexions sur la légèreté des courtisanes en général et de Métella en particulier, se trouve en présence d’un ancien domestique à lui, pour l’instant guide au Grand-Hôtel.

– Que fais-tu là ?
– J’attends des voyageurs : un baron et une baronne.
– Une baronne, quelle idée !… Ces voyageurs te connaissent-ils ?
– Non, monsieur.
– Écoute, Joseph, pour de l’argent, es-tu homme à commettre une infamie ?
– Je le crois, monsieur.
– Voici ma bourse, va-t-en !

Joseph se retire.

– Voilà ma consolation toute trouvée, murmure Gardefeu.

Et il sent l’amour envahir son cœur. L’amour d’une inconnue.

– C’est étrange, dit-il, j’attends un femme que je ne connais pas, et je suis ému en l’attendant !

À ce moment le baron et la baronne de Gondremarck arrivent. Gardefeu s’avance vers eux.
– Qui êtes-vous ?
– Je veux être votre guide dans notre ville splendide !
– Et où nous conduisez-vous ?
– Au Grand-Hôtel… (à part) chez moi !

Le rideau tombe.

On voit que j’ai suivi aussi fidèlement que possible le livret de Meilhac et Halévy. Les situations sont restées les mêmes et cependant elles vont préparer un drame poignant. Aux actes suivants, en effet, le baron et la baronne se trouvent installés chez le jeune viveur, alors qu’ils se croient au Grand-Hôtel. Le baron est un galant homme, qui aime te respecte sa femme, ce qui ne l’empêche pas de la tromper à l’occasion. La baronne est aussi honnête que belle et Gardefeu en est fou.

Il mêle au complot qu’il a tramé contre l’honneur conjugal du baron un nommé Frick, bon gibier de potence, et la maîtresse dudit Frick, une jolie fille, effrontée coquine qui ne reculera devant aucun crime pour servir Gardefeu. Grâce à des déguisements divers (le rôle de Frick permettra à Paulin Ménier de montrer sous toutes ses faces son talent si souple), ces misérables parviennent à séparer le mari de la femme, à jeter le baron dans les bras de Métella et la baronne dans les bras de Gardefeu.

Mais la baronne résiste. Elle parvient à s’échapper. Elle retrouve son mari au Café Anglais au moment ou le gouffre parisien allait l’engloutir, et celui-ci, convaincu d’avoir été berné, force Gardefeu à se battre avec lui. Un duel à lui – duel au couteau – dans le cabinet même du restaurant et Gardefeu tombe grièvement blessé.

À ce moment, la porte s’ouvre et Métella accourt en murmurant à l’oreille du blessé :
– Je te guérirai !

Voilà, en peu de mots, le drame qu’on trouve au fond de la Vie parisienne. Je ne dis pas que ce soit un drame plein d’émouvantes péripéties, mais MM. Meilhac et Halévy n’auraient certainement pas manqué, grâce à leur grand talent, d’en tirer parti.

La représentation des Variétés a été assez brillante. Toute la portion élégante des premières ordinaires se trouvait à son poste. Sauf Mlle Demay qui a joué fort gentiment le rôle de la baronne, Baron qui a repris le rôle de Grenier, et Blondelet qui a remplacé Baron, la distribution est restée la même qu’il y a un an.

Baron s’est fait une tête de gommeux bien amusante et bien vraie. C’est un type qu’on a coudoyé cent fois, tout à la fois très observé et très comique.

UN MONSIEUR DE L’ORCHESTRE.

[1SIC

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