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La Soirée Théâtrale

Le Figaro – Jeudi 28 mai 1874

Le jour de la centième d’Orphée, Offenbach était retenu chez lui par la goutte. Aussi la fête n’avait-elle pu être célébrée avec tout l’éclat désirable. Il avait fallu, comme à l’ordinaire, se contenter d’une recette magnifique et c’était tout. Mais les artistes de la Gaîté n’y auront rien perdu. Aujourd’hui, le maëstro est complétement [1] rétabli et en attendant le souper qui aura lieu samedi, il a voulu conduire l’orchestre en personne et remercier ainsi tous ceux qui depuis plus de trois mois, sans un seul jour de repos, ont travaillé à la prospérité de son théâtre.

Salle comble, il est inutile de le dire. En cela, rien de changé. Mais comme les affiches ont annoncé qu’Offenbach serait au pupitre du chef d’orchestre, la Gaîté est pleine d’un public spécial. D’abord, dans une avant-scène la famille Offenbach au grand complet, puis, à l’orchestre, dans les loges, les amis du maestro et des journalistes une vraie salle de première. Enfin,les gens qui n’ont jamais aperçu l’auteur de la Belle Hélène et qui viennent tout exprès pour le voir.

Après le premier entr’acte, on frappe les trois coups et Offenbach paraît. Il est accueilli par des acclamations enthousiastes. A plusieurs reprises il est obligé de saluer le public. Le calme rétabli, l’ouverture commence. Le maestro conduit debout, dominant son orchestre, le maîtrisant et l’entraînant tour à tour, ayant l’œil sur chaque musicien, mimant pour ainsi dire toute la partition, tantôt se laissant caresser doucement par les plaintives mélodies du hautbois, puis, tout -à coup se redressant sur un appel de trompette et se démenant avec une chaleur irrésistible. Tout le second acte a été ainsi enlevé d’une façon étonnante et le final s’est terminé au milieu des applaudissements de tous les spectateurs.

Pendant qu’Offenbach prenait sa place, que croyez-vous que faisait le chef d’orchestre, M. Vizentini ? Qu’il se reposait ? Point. Il s’était modestement installé au pupitre du premier violon. Voilà de la conscience pu je ne m’y connais pas !

Les Variétés annoncent les dernières de la Périchole. Aussi la salle est-elle absolument pleine. Pas un strapontin vide dans la salle. On se figure généralement que le public de ces représentations de la fin est un public de billets donnés. C’est une grosse erreur. Il a payé bel et bien sa place, et voici pourquoi :

Dès qu’une pièce se pose en succès dans un théâtre, tous les amis de la maison accourent demander une petite place pour un de ces soirs. On leur répond invariablement :

— Impossible en ce moment, nous faisons trop d’argent. Attendez les dernières.

Ils attendent avec une impatience facile à comprendre. Enfin, au bout de deux ou trois mois l’affiche porte ces mots magiques : Pour les dernières représentations... Vite ils retournent au théâtre, et rappellent la promesse faite.

— Mon Dieu, leur dit-on alors, nous sommes vraiment désolés, mais l’annonce des dernières a fait monter les recettes d’une manière inespérée. Nous atteignons le maximum !

Que faire alors quand on a attendu si longtemps ? Il faut bien se décider à payer sa place. Les décors ne sont plus frais, les costumes sont fripés, les acteurs fatigués. Seul, le prix est le même, et il était si simple de louer son fauteuil pour les premières représentations !

Il m’a bien fallu finir ma soirée à l’Opéra-Comique où avaient lieu les débuts d’un nouveau ténor dans Mignon.

M. Heugel proclamait à la ronde que M. Anthelme était un chanteur étonnant.

Mais vous savez que M. Heugel ne mesure pas son enthousiasme quand il s’agit d’une œuvre du directeur du Conservatoire et, ce soir encore, je me demandais lequel des deux avait le plus fait pour le succès de Mignon, de Heugel ou d’Ambroise Thomas.

Un Monsieur de l’orchestre.

[1sic

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