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La Soirée Théâtrale

Le Figaro – Samedi 27 novembre 1875

(…) Quand on a fait le voyage de l’Odéon, ce n’est pas le Voyage dans la lune qui peut effrayer beaucoup. La transformation de la Gaîté en Théâtre-Lyrique a fait beaucoup de bruit tous ces jours derniers. Eh bien ! nulle part on ne s’en occupe moins qu’à la Gaîté. Et ma foi ! à voir cette salle si bien remplie, à voir l’air satisfait des contrôleurs et du caissier, on a peine à croire que le règne de la féerie puisse cesser un jour. Dans tous les cas, il durera longtemps encore. Les Parisiens peuvent dormir tranquilles !

Il s’est passé, il y a quelques soirs, à la Gaîté, un petit fait bien intéressant.

Les auteurs du Voyage dans la lune avaient fait faire chez Reinhardt une magnifique boîte en satin bleu, capitonnée de satin blanc à l’intérieur, sur laquelle était peinte la fameuse scène des charlatans avec Zulma sur son char, Chritian derrière, l’autruche devant et une foule de sélénites autour. La boîte était destinée à la principale interprète de l’opéra-féerie, au prince Caprice, à Zulma Bouffar.

Or, la semaine dernière, le peintre Vibert se fit présenter à Mlle Bouffar pendant la représentation. Quand vint le tableau des charlatans, M. Vibert prit congé de la chanteuse en disant qu’il voulait voir la scène de la salle.

Il se trouva que l’artiste qui avait décoré la boîte offerte à Zulma portait précisément le nom de Vibert. Il n’a que le nom de commun avec l’auteur des spirituels tableaux qui font tous les ans fureur au Salon.

Quand on livra la boîte au théâtre, Zulma poussa un cri de plaisir. La signature de Vibert sur un coin de la boîte l’avait frappée.

– C’est donc pour cela qu’il s’est fait présenter à moi, se disait-elle, c’est pour cela qu’il a été voir la scène des charlatans dans la salle !

Et elle sautait de joie, appelant tout le monde pour venir admirer le cadeau qu’on venait de lui faire.

La boîte resta exposée toute la soirée dans la loge de Zulma.

Les artistes, les régisseurs, les visiteurs poussaient tous des cris d’enthousiasme.

– Que c’est joli, disait-on, comme c’est fait ! Regardez-moi ces mains ! Et ces jambes ! Comme c’est campé ! Quelle science des détails ! Et quels coloris ! Cela vit, cela parle ! Comme on reconnaît le savoir-faire d’un véritable artiste.

– Sans compter, ajoutait quelqu’un, que cela n’a pas une petite valeur !

Ce n’est que vers la fin de la soirée qu’un ami du vrai Vibert, étant entré dans la loge de Zulma et s’étant rendu compte du quiproquo auquel on s’était laissé prendre, détrompa la chanteuse – tout doucement – avec de grands ménagements.

La pauvre prince Caprice ne s’en est pas consolé encore.

Cette main qu’on admirait tant, cette jambe si bien campée et tous ces détails si spirituellement enlevés ne font plus du tout le même effet maintenant.

On n’ose pas dire que c’est vilain, mais… on voit bien que ce n’est pas du Vibert !

Un Monsieur de l’orchestre.

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