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La soirée théâtrale

Le Figaro – Jeudi 4 septembre 1873

Inauguration de la nouvelle Gaîté.

La voilà faite enfin, cette réouverture si impatiemment attendue et qu’une indisposition du nouveau directeur de la Gaîté a retardée d’une huitaine de jours ! Froufrou, prétendant que son vrai public des premières, son public à lui, vagabonde encore aux bords de la mer ou à travers bois à la recherche d’un lièvre accommodant, Froufrou s’en est rapporté à moi pour le compte rendu des petits côtés de la représentation. Et Froufrou a eu tort, car le spectacle de la salle a été aussi intéressant que possible.

Jamais, de mémoire de buraliste, les places n’ont été aussi recherchées en cette saison que celles de cette première à sensation. On a payé, dans la matinée d’hier, des fauteuils d’orchestre jusqu’à cent cinquante francs. Des gommeux, que je pourrais nommer, sont revenus de Trouville tout exprès pour cette représentation ils repartiront demain. Bon voyage !

Et pourtant la véritable inauguration de la nouvelle Gaîté ne se fera que par la grande oeuvre de Gounod, car c’est par la musique plutôt que par le mélodrame que la direction Offenbach compte se distinguer.

Voici, aussi fidèlement que possible, les noms des privilégiés de cette première soirée :

Dans les loges Madame Offenbach et M. Comte occupent la grande avant-scène de gauche. Çà et là nous remarquons MM. le préfet Léon Renault avec M. Patinot, le prince Troubetzkoï, d’Ennery, comte Duchâtel, comte Welles de la Valette, Henri Rivière, Lambert de Sainte-Croix, Robert et Gaston Mitchell ; puis, mesdames Schneider, Thérésa, Jeanne Bernhardt ; les Variétés sont représentées par M. Bertrand et sa famille et par Dupuis.

A l’orchestre et au balcon, MM. Arsène Houssaye, comte Camondo, Mario Uchard, Bischoffsheim, Hector Crémieux, Arthur Meyer, Narey, Pertuiset, Peragallo, Duquesnel, Moreau-Sainti, Jules Moinaux, Cantin, Costé, Delpit, Grévin, Darcier, Goupil, Montépin, Laferrière, Meilhac et Halévy, Mesdames H. Neveux, Valtesse, Buisseret, Grivot, Grandet, et mesdemoiselles Périga, Rosine Bloch, et Magnier dans une délicieuse toilette bleu et paille.

Dans une avant-scène de droite nous trouvons M. Barrière, l’heureux auteur, et sa fidèle collaboratrice madame de Prébois.

Je ne sais si le résultat de la soirée contribuera à rapprocher les deux auteurs du Gascon ; mais ce qui est certain, c’est qu’au théâtre on les appela les collaborateurs-ennemis. Quelle est l’origine de l’inimitié qui règne entre Barrière et Poupart-Davyl, entre Poupart-Davyl et Barrière ? Mes informations à cet égard ne sont pas assez précises pour que je puisse m’en servir. Mais ceux qui ont assisté aux répétitions ont pu voir les deux auteurs, faisant répéter leur ouvrage, à respectable distance l’un de l’autre, Barrière trouvant mauvais les gestes et les intonations qui semblaient plaire à Davyl, et celui-ci restant coi, comme il convient à un auteur novice devant l’auteur acclamé d’une quantité d’œuvres remarquables.

A l’encontre des collaborateurs connus, Meilhac et Halévy, Chivot et Duru, qu’on ne voit pas l’un sans l’autre, Barrière, en dehors des répétitions, s’en allait bien loin aussitôt qu’il apercevait Davyl, et Davyl s’esquivait le plus prudemment possible quand Barrière montrait le bout de ses moustaches.

Je me demande si ces sentiments de haine divisant deux collaborateurs ne facilitent pas singulièrement leurs travaux, surtout lorsqu’il s’agit de mettre en scène deux rivaux quelconques. Il suffit alors de se donner la réplique.

M. Offenbach, qui connaît sur le bout des doigts son public parisien sceptique et blasé, lui a ménagé une série de surprises dignes d’être notées.

Première surprise. – La salle, autrefois triste et sombre, est toute ruisselante de lumières et de dorures. Le Figaro a du reste raconté hier les améliorations matérielles. Je passe.

Deuxième surprise. – Généralement les drames, les féeries et autres grandes machines commencent vers les neuf heures et demie, après de nombreuses marques d’impatience manifestées par le parterre sur l’air des Lampions. Le Gascon, annoncé pour sept heures et demie, a commencé à sept heures et demie tant pis pour les retardataires !

Troisième surprise. L’orchestre n’est plus un vulgaire orchestre de mélodrame avec un cornet à piston poussif qui a de la peine à suivre la clarinette. Ah ! mais non, il est tout bonnement excellent cet orchestre. – L’ouverture seulement a paru un peu longue. Mais cela se tassera comme on dit au théâtre.

Quatrième surprise. Paul Meurice était en habit noir !

Cinquième surprise. – Plus de voyous au poulailler. On attendait, suivant l’usage, les manifestations de haut goût dont ces messieurs ont coutume de régaler nos oreilles. Point. Pas le plus petit chahut, aucuns miaulements, le cri du coq n’est même pas imité, et les messieurs chauves ne sentent pas leur crâne désagréablement chatouillé par la pluie classique d’écorces d’orange.

On aperçoit bien des blouses là haut ; mais elles sont aussi correctes que des habits de notaires.

Une seule interruption a eu lieu au deuxième acte, et elle est partie des premières loges !

C’est le renversement des renversements.

Sixième et dernière surprise. Lafontaine s’est révélé chanteur ! On l’a beaucoup applaudi dans sa chanson béarnaise.

– Et pourtant, a dit quelqu’un, ce n’est qu’un filet de voix qui coule de Lafontaine !

UN MONSIEUR DE L’ORCHESTRE.

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