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Les Bouffes parisiens

Le Figaro – Dimanche 12 août 1855

Quelques personnes ont cru voir dans notre appréciation du Songe d’une nuit d’été une attaque dirigée contre notre ami Offenbach et le théâtre des Bouffes parisiens. Ceux qui veulent à toute force qu’il y ait des sous-entendus dans l’expression d’une critique loyale, ont mal étudié, nous ne craignons pas de le dire, les allures invariables de notre journal. Nous avons l’ambition, excessive peut-être, de croire que l’opinion du Figaro sur les hommes et sur les choses a quelque poids auprès des honnêtes gens, et que les amis anonymes qui le lisent lui font l’honneur d’attendre de lui la vérité sur tous et sur tout.
Partant de ce principe qui consiste, de notre part, à ne faire de concessions ni à nos amitiés ni à nos antipathies, nous avons dû signaler les expressions de mauvais goût qui avaient choqué le public, à la première représentation du Songe d’une nuit d’été. Les auteurs, sentant la justesse de notre critique, en ont expurgé leur ouvrage aux représentations suivantes ; grâce à d’habiles coupures, les deux Anglais de Mabile amusent maintenant l’auditoire qu’ils dépitaient ; nous nous sommes assuré de ce changement de front dans le succès d’un Songe d’une nuit d’été et nous le constatons avec la même franchise que nous avons mise à condamner les plaisanteries déplacées et triviales qui ont disparu.
Puisque ces explications nous ont ramené au théâtre d’Offenhach, nous allons répondre à une objection que le succès de l’entreprise a fait naître. Un grand nombre de personnes qui s’obstinent à voir dans les Bouffes parisiens une concurrence dangereuse aux Folies-Nouvelles. Nous ne voulons nous faire l’avocat de personne ; mais nous ne craignons pas de dire que c’est là une erreur radicale. La clientelle [1] des deux théâtres se recrute dans des couches sociales peu faites pour se rencontrer, et les confondre serait vouloir comparer les magasins de confection de la Belle-Jardinière à la maison du tailleur Renard, l’établissement du Coin de rue aux magasins des Villes de France, etc.
Les Folies-Nouvelles out rencontré leur grand succès dans l’adoption qu’en ont fait sur-le-champ les célébrités du demi-monde, et ce mouvement d’impulsion première ne s’est pas ralenti. Les Bouffes parisiens, au contraire, ont obtenu leur vogue avec l’empressement d’une société d’élite. Rien n’est positif et concluant comme des chiffres et des noms propres ; nous allons, en conséquence, donner ici la physionomie parlante des habitués de la petite salle des Champs-Elysées. Il n’est pas nécessaire de faire un travail parallèle sur les Folies-Nouvelles. M. Busnach s’en est acquitté dans le temps, et, malgré ses loyales intentions et à notre grand regret, le scandale
a été retentissant.
Nous extrayons au hasard quelques noms parmi la clientelle aristocratique du théâtre d’Offenbach ; mais si nous le faisons, c’est surtout dans l’intérêt d’une entreprise, qui, en se voyant placée sous un si honorable patronage, plus que jamais, doit surveiller le genre qu’elle exploite, car noblesse de spectateurs oblige. Voici la société d’élite, spectatrice assidue du joli théâtre de genre qui a inauguré la musique légère aux Champs-Elysées :
Mesdames : Marquise de Las Marismas, – d’Osmont, – de Chabriant, – Dupuytren, – de Maillé, – comtesse Desroy, – de Tracy, – Pankoucke, – comtesse de Manuel, – de Beaumont, – comtesse Salle, – de Vaufreland, – de Bussy, – de Boismouchy, etc.
Messieurs : Duc d’Hamilton, – d’Hautpoul, – Partarieu-Lafosse,
– Baroche, – de Belleyme, – de Lacaze, – comte de Gouy,– de Ségur, – comte Bacchiochi, – de Morny, – de Rothschild, – de Boismouchy, – Magne, – Horace Vernet, – Auber, – Ingres, – La Ruchejacquelein, – de Bazancourt, – Géniol, – de Castellanne, – Lautour-Mézeray, – de Tournon, – de Soubiran, – de Bellune, etc.
Le théâtre a ouvert le 5 juillet, et la liquidation de la fin du mois, soit 25 jours, a donné 11,000 fr. de bénéfice.
A en juger par le résultat sonnant, on voit que les Bouffes Parisiens sont décidément un théâtre accepté par la mode ; si, pour lui, l’été n’a pas eu de feux, l’hiver n’aura point de glaces. (Paroles de Buileau, musique d’Offenbach.)

H. de Villemessant.

[1SIC

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