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Mémoires d’un journaliste

Le Figaro – Lundi 29 janvier 1877

VII

(…)

Lambert Thiboust, pour toute réponse, nous adressa la charmante pièce de vers suivante, qui eut à cette époque un succès immense, et que je lui fis recopier quelques années après pour notre collection de l’Autographe :

MÉLANCOLIA

Oh ! les connaissez-vous ces jours pleins de misère
Où le spleen vous étouffe entre deux bâillements,
Où s’en viennent souffler sur le cœur qui se serre,
Ainsi qu’un vent d’hiver, les découragements !

Ces jours plus longs qu’un siècle, ou tout rire détonne,
Où l’on est poursuivi par un air d’Offenbach
Ces jours où l’on se sent plus lourd, plus monotone
Que les époux Fernel, par monsieur Louis Ulbach !

On se lève à midi, paresseux, sombre, lâche,
Ennuyeux, ennuyé, misanthrope, énervé.
Aucun bruit au dehors. Les oiseaux font relâche,
Et l’on écoute l’eau tomber sur le pavé.

Car il pleut ces jours-là pour toute la journée ;
Et, comme le valet que l’on sonne est en bas,
Soi-même l’on remplit de bois la cheminée :
Le feu vous égairait… mais le feu ne prend pas !

On lit le Moniteur, le regard s’y promène,
On y voit « Monsieur X. est nommé sous-préfet. »
Ou : « Comment finira la question romaine ? - »
Et l’on se dit « Tout ça, qu’est-ce que ça me fait ? »

On est paradoxal, on devient sanguinaire,
Et l’on découvre en soi de rouges horizons,
Et l’on en vient à dire de Lacenaire,
Que peut-être après tout il avait ses raisons !

Que c’est fort ennuyeux ce million qui manque,
Et que, quand on s’en va, le gousset vide, errant,
Il est de mauvais goût aux garçons de la Banque
De trimbaler des sacs d’un air indifférent !

Ces jours-là, voyez-vous, c’est qu’une patte blanche
Vous écrivit ces mots, qui font le désespoir,
Cet adieu féminin : « Mon cher, je serai franche,
Je vous aimais hier… ne venez pas ce soir ! »

Lambert Thiboust.

(…)

H. de Villemessant.

(A suivre.)

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