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Paris au jour le jour

Le Figaro – Jeudi 7 octobre 1880

LA RÉPONSE DE LA TURQUIE

(…) Quel malheur qu’Offenbach ne soit plus de ce monde ! Le joli ballet à mettre en scène que cette note ottomane, avec les diplomates européens courant après les concessions turques, et ne les attrapant jamais !

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(…) La presse est unanime à rendre justice au talent du compositeur si spirituel, si parisien qui vient de mourir. Bien que le Figaro ait donné, dès hier, sur Offenbach, les détails biographiques et anecdotiques les plus complets, nous détachons de divers journaux quelques appréciations intéressantes et quelques derniers souvenirs.
Constatons d’abord que le fameux cliché inventé, il y a dix ans, par certains radicaux ennuyeux, et consistant à rendre la musique d’Offenbach responsable de nos défaites de 1870, est définitivement renvoyé à la fonderie. Un seul journal, la Justice, tout en daignant reconnaître à l’auteur d’Orphée de la « verve » et « une mélodie élégante et facile », insinue « qu’il a corrompu le goût du public » et qu’il a été, en ceci, complice « du gouvernement impérial ». Un mot de l’auteur des Huguenots, cité par le Petit Journal, suffirait, s’il en était besoin, à venger Offenbach.

On m’assure que Meyerbeer, qui musicalement n’avait pas le plus petit mot pour rire, disait, à l’époque où Offenbach dirigeait le théâtre des Bouffes aux Champs-Elysées :
– Je vais chez le petit Mozart.

M. Chapron, dans sa chronique de l’Evenement, a donné un excellent portait d’Offenbach. Il insiste avec raison sur le caractère profondément honnête et sur l’infatigable activité de ce grand artiste.

Jacques Offenbach était, au point de vue des affaires, un bourgeois, mais un bourgeois au sens de Balzac, c’est-à-dire de l’école de cet admirable Birotteau qui pouvait, tot de même qu’un héros du De Viris, revendiquer la fière devise : Mori potius quam fœdari. Lorsque Offenbach prit la direction du théâtre de la Gaîté, il était riche. Si j’ai bon souvenir d’une causerie d’il y a deux ans, il avait trente-cinq ou quarante mille livres de rentres. Rentes conquises au pris de quel labeur, vous le savez. Il voulut aborder tous les genres. Il eut deux troupes, trois troupes, quatre troupes, je ne sais quoi ! Ce fut le rêve d’un hiver. La déconfiture arriva. Offenbach paya tout et le reste.
Trente années de travail patient et fécond furent absorbées en un clin d’œil. Le jour où Offenbach remit la clef au concierge de la rue Réaumur, il avait vingt-cinq louis dans sa poche.
Cela est très beau par ce temps où la faillite – opérée avec un million en portefeuille – est considérée par les malins du boulevard comme un acte de haute intelligence. Si je déshabillais la vie de certains grands impertinents, qu’il me serait facile de citer, on en apprendrait de belles ! Jacques Offenbach rentra chez lui sans donner les marques d’une gaîté folle, à coup sûr, mais aussi sans désespérer de l’avenir. Il s’assit devant la table de travail un peu abandonnée, prit du papier rayé, un libretto qui traînait et recommença à veiller sous la lampe. La vie d’autrefois ! Et il ne perdit point sa gaîté ! Quand je vous dis que c’était un vrai Français ! – L’homme qui vient de mourir était un bien honnête homme.

Le Voltaire, sous la signature de Parisis, qui cache, je crois, M. Emile Blavet, fait apprécier surtout dans Offenbach l’homme de famille.

J’étonnerai bien du monde en disant qu’Offenbach, cet homme de mouvement, de fantaisie, cet ouvrier infatigable, était avant tout et pardessus tout un homme de foyer. Ceux-là seuls qui l’ont bien connu, qui ont vécu de sa vie et dans son atmosphère intime, ne lèveront pas les épaules. Il adorait les siens, qui le lui rendaient bien, du reste, et jamais, pour or ni pour argent, dût sa fortune en dépendre, il n’eût dîné ni passé la soirée hors de chez lui le vendredi, le jour de la famille, disait-il. Ce soir-là, la maison était ouverte, et Tout le Paris mondain, élégant, littéraire, artistique et même politique, passait par ces salons, où la bonne grâce vous faisait accueil et qu’égayait la verve intarissable du maestro.
L’été, on se donnait rendez-vous à Etretat, dans cette délicieuse villa Orphée, qui vit passer tant d’hôtes illustres.

Dans cette revue rapide des journaux qui s’occupent d’Offenbach, il serait injuste d’oublier le Journal des Débats. Sous le titre Nécrologie, on lit dans ce journal ce qui suit :

On annonce la mort de M. Logerotte, député de Saône-et-Loire.
M. Logerotte siégeait à la gauche et était membre de l’Union républicaine.
On annonce également la mort de Jacques Offenbach, l’auteur de etc., etc.

Egalement est une faveur, dont il faut savoir gré au Journal des Débats. Cet adverbe chez lui ne s’accorde pas à tout le monde. (…)
Adolphe Racot.

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