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La Soirée Théâtrale – Rentrées et réouvertures

Le Figaro – Jeudi 2 septembre 1875

De même que l’été commence officiellement le 21 juin, qu’il gèle, qu’il grêle ou qu’il neige, la saison théâtrale recommence non moins officiellement le premier septembre, quelque chaleur qu’il fasse. Tous les théâtres ont rouvert leurs portes, et on ne voit plus, sur les colonnes Morris, ces tristes affiches, avec le mot Relâche encadré de noir, et qui ressemblent à des lettres de faire-part.

Au moment de reprendre ces bavardages au jour le jour, ces excursions quotidiennes à travers le monde des théâtres, je veux faire part à mes lecteurs d’un cas fort embarrassant. J’ai précisément à parler ce soir de la réouverture des Bouffes-Parisiens avec la Jolie Parfumeuse, et de celle de la Renaissance avec Giroflé-Girofla. Aux Bouffes, il y a Théo à la Renaissance, il y a Granier. Bientôt aussi Judic aura fait sa rentrée. Or, il résulte d’une statistique très consciencieuse que, pendant la saison qui vient de s’écouler, j’ai parlé 2,845 fois de la « jolie Théo », 1,482 fois de la « charmante Granier » et 3,763 fois de « l’adorable Judic. » – Le public, j’en suis convaincu, n’aime pas qu’on, trouve une femme charmante pendant si longtemps. Il m’est pourtant difficile d’être désagréable à ce trio de divas dans l’unique but de varier un peu mes causeries. Je ne pouvais pas davantage les prier de changer de nom ou de théâtre. Evidemment, j’aurais eu grand plaisir avoir Théo s’appeler Gra-thé et aller jouer Giroflé à la Renaissance tandis que Granier devenue Niéro chantait la Jolie Parfumeuse aux Bouffes, mais ce n’est pas uniquement pour amuser les chroniqueurs qu’on ouvre les théâtres.

Il faudra donc en prendre son parti et annoncer qu’aux Bouffes la jolie Théo (c’est la 2,846e fois) a retrouvé son public, son succès et ses bouquets habituels. Tout le monde est à son poste – y compris Isabelle. Je noterai seulement qu’on envoie maintenant à la jolie Théo (2,847e fois) des fleurs piquées dans des terres cuites plus ou moins réussies. La représentation a fort bien marché. Une débutante, Mlle Zélie Weil, que M. Comte a découverte à l’Eldorado, a chanté d’une façon intelligente et avec une voix agréable le rôle de Mme Grivot. Daubray a été on ne peut plus amusant.

A la Renaissance, M. Hostein, qui a eu le bon esprit d’arrêter Giroflé-Girofla en pleines recettes et sans laisser la pièce s’épuiser dans les chaleurs, se trouve également, pour sa réouverture, à la tête d’une bonne reprise.

C’est ce soir – chiffre officiel – la 164e représentation de l’opérette de Lecocq et on me montre aux fauteuils quelques spectateurs qui l’entendent pour la 164e fois. Bons jeunes gens ! Faut-il qu’ils aiment cette musique-là ! Mais, j’y songe est-ce bien pour la musique qu’ils vont là ? – Bah ! N’inquiétons pas leurs familles.

Pour commencer, on donne la première d’une petite opérette de M. Moniot : Marianne et Jeannot. Gentille partition, gentiment interprétée. Une débutante, Mme Tony, y a trouvé l’occasion de prouver que M. Hostein pourra l’employer dans des rôles plus importants.

Puis le rideau se lève sur Giroflé. Les costumes, les décors, tout a été remis neuf. Les principaux interprètes, à part Dailly, qui débute dans le rôle de Boléro, sont les mêmes qu’à la création. Mais deux mois et demi de villégiature ont singulièrement profité aux pensionnaires de la Renaissance : quelles santés, bon Dieu ! MM. Vauthier et Pujet vous ont des notes ! La charmante Jeanne Granier (1,483e fois) a engraissé, et elle en est fière ! – Deux doigts monsieur ! Il a fallu retoucher ses costumes de deux doigts ! Cela lui va fort bien, du reste. Quant à Alphonsine… Non, je ne vous dirai pas qu’Alphonsine a pris de l’embonpoint : cela paraîtrait invraisemblable. Et pourtant… Dame ! il fallait bien conserver la proportion !

Dans, les couloirs circule Victor Koning. Détail piquant : depuis qu’il est administrateur de la Renaissance il dit du mal de la Fille Angot.

Revenons aux divas de l’opérette.

On a annoncé il y a quelques jours que Théo ne gagnait, aux Bouffes, que quinze cents francs par mois. Quinze cents francs ! Fi donc ! Au prix où sont les étoiles, c’est tout au plus si, pour quinze cents francs, on trouverait une petite nébuleuse de rien. Quinze cents francs ! C’était bon autrefois du temps où Théo ne charmait encore que le public de l’Edorado. Mais aujourd’hui ! Théo est payée en lingots d’or que M. Comte, se traînant à genoux comme un simple ambassadeur Siamois, lui apporte tous les soirs sur un plateau incrusté de pierres fines.

Le directeur des Bouffes s’est également engagé à construire, pour sa pensionnaire, un petit palais dans un des plus jolis quartiers de Paris. Mme Théo voulant avoir une voiture et des chevaux, M. Comte est en pourparlers avec M. Lupin, pour lui acheter Salvator et Saint-Cyr qui formeront un petit attelage assez réussi.

Quant à Mlle Granier, qui gagnait il n’y a pas bien longtemps trois cents francs par mois pour doubler Théo dans la Jolie Parfumeuse, elle a maintenant cent cinquante francs par représentation et la direction se propose à la prochaine opérette de Lecocq, de lui abandonner toute la recette plus dix pour cent.

Aussi ne faudrait-il pas s’étonner outre mesure en voyant, dans un avenir prochain, aux deux bout du passage Choiseul, MM. Comte et Hostein, avec une clarinette et un caniche chacun, porteurs de cette pancarte touchante :

Aveugle pour cause de Diva.

Un monsieur de l’orchestre.

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