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Théâtres

Le Gaulois – Lundi 27 avril 1874

Les Variétés.La Périchole. – Rentrée de Mlle Schneider.

Le public s’est mis en frais hier soir pour fêter l’une de ses chanteuses favorites. Dès huit heures et demie, une foule nombreuse qui descendait de chez Brébant envahissait les couloirs des Variétés ; les loges étaient bondées ; l’orchestre regorgeait ; les habits noirs et les cravates blanches foisonnaient ; les robes étaient décolletées ; les épaules étincelaient sous les diamant. Partout des fleurs, des pierres précieuses. On aurait dit une fête carillonnée ; c’était liesse générale.

Hortense Schneider opérait sa rentrée : elle la faisait sur la scène habituelle de ses exploits ; dans un opéra de son compositeur à elle, prêtant sa finesse et son esprit à ses paroliers ordinaires qui n’ont cependant pas besoin qu’on vienne à leur secours, tant ils sont riches par eux-mêmes. Tous les plaisirs à la fois : les plaisirs du bon temps, les plaisirs d’il y a six ou septs [1] ans, comme la Périchole a dit elle-même dans l’émotion de cette résurrection et a la joie de tous ses amis qui trouvent qu’aucune de ces liaisons ne saurait être dangereuse ; le plaisir des yeux, le plaisir des oreilles, le plaisir des souvenirs : une foule de souvenirs petits et grands, tous charmants, et si féconds en regrets cependant !

Cela ne rajeunirait pas de réentendre la Périchole, si on n’y retrouvait Hortense Schneider telle qu’on l’y a vue autrefois, meilleure même, car la voix est reposée, et plus fraîche qu’à l’époque des six ou septs [2] ans en question. La figure est toujours aimable, l’œil vif, intelligent, provocant au besoin, le sourire plein de finesse et communicatif – double qualité qui se rencontre rarement sur les mêmes lèvres – le geste audacieux, atteignant les limites extrêmes de la fantaisie, mais ne les franchissant pas. C’est bien l’ancienne amie Schneider qui est revenue ; c’est bien la grande-duchesse de Gérotstein, doublée de la Boulotte de Barbe-Bleue, mélange singulier de distinction presque mignarde et de rondeur paysanne ; c’est bien la Schneider d’hier, ou, pour mieux dire, c’est la Schneider de demain, car son talent est plus que jamais rempli de fraîcheur et de promesses.

Pour la rentrée de la diva, on a mis aux Variétés tes petits plats dans les grands. On est allé trouver maître Jacques et on lui a demandé d’écrire quelques airs nouveaux sur quelques scènes nouvelles que MM. Meilhac et Halévy ont ajoutées à l’ancienne Périchole. Maître Jacques, qui n’est pas avare de ses doubles croches, a écrit un joyeux motif de polka que chante le vice-roi de Lima sous le costume d’un homme-chien qui sert de geôlier ; il a même trouvé un nouveau motif de déclaration d’amour que la Périchole chante avec un déticieux emportement de passion quand elle vient retrouver son amant Piquillo, plongé qu’il est dans la prison des époux ré, des époux cal, des époux ci, des époux trants, des époux récalcitrants.

On ne compte plus les airs joyeux et enlevés de maître Jacques ; on ne compte pas davantage les fantaisies de MM. Meilhac et Halévy. Laissons donc au public le soin d’aller juger si la Périchole seconde manière est plus ou moins amusante que la Périchole première manière. Nous lui recommandons seulement un bout de rôle bien amusant composé par Baer, un bonhomme de prisonnier qui ébranle une pierre de sa prison tous les douze ans et qui n’en est pas plus triste pour cela ; au contraire ! car il ne songe à s’échapper que pour embrasser une femme, une femme quelconque, la première venue !

Le public de la première a fait à tous ces efforts de belle humeur un bon accueil ; mais son enthousiasme était réservé pour Hortense Schneider, et s’il ne l’a pas manifesté en accablant la Périchole sous les bouquets, cela a tenu à ce que le public a bon cœur et qu’il n’a pas voulu faire trop de peine à Théo.

... à Théo ? Comment Théo ? Pourquoi Théo ? Qu’est-ce que vient faire là Théo ?

Ah ! voilà. C’est qu’il faut être dans les petits secrets des coulisses comme y est ce public parisien des premières pour comprendre cela ; c’est que Théo a pleuré toute ta journée de ne pouvoir obtenir congé hier soir aux Bouffes pour aller jeter un bouquet à Hortense Schneider.

— C’est elle qui m’a jeté mon premier bouquet, disait Théo au milieu de ses petites larmes après avoir essayé inutilement de fléchir l’inexorable Comte, directeur des Bouffes ; et si quelqu’un lui jette un bouquet avant moi pour sa rentrée, je ne me consolerai de ma vie !

Et alors le public, qui ne veut pas que Théo ne puisse se consoler, a imaginé d’attendre que Pomme d’api ait pu jeter son bouquet à la Périchole pour dévaliser Isabelle au profit d’Hortense Schneider.

GEORGES.

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