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La Soirée Théâtrale

Le Figaro – Mardi 14 janvier 1879

LA MAROCAINE

Seuls jusqu’à présent, les théâtres de féerie, les scènes vouées au drame géographique à grand spectacle s’étaient fait remarquer par leurs relâches prolongés. Jamais, avant l’exemple que vient de donner M. Comte pour la Marocaine, jamais on n’avait vu un théâtre de genre ou d’opérette fermer ses portes au public pendant près de quinze jours, pour répéter généralement.

Tout le quartier était en ébullition. Depuis que ces interminables répétitions générales avaient commencé, les commentaires allaient leur train :
— Qu’est-ce que ça peut être ?
— Une reprise d’Orphée comme à la Gaîté ?
— Une opérette tirée de Jules Verne ?
— Un second Tour du Monde ?
— Alors, il y aurait des lions... c’est pour ça qu’on répète si longtemps :
— Où mettra-t-on l’éléphant ?

Pendant qu’il a monté la Marocaine, Offenbach a pu se croire à la Gaîté, au temps où il nous préparait sa fameuse reprise d’Orphée aux Enfers. Non-seulement il a vu, comme autrefois, les relâches succéder aux relâches, mais en outre il a fait déployer à M. Comte un luxe de mise en scène tout à fait oriental. Il y a dans la Marocaine plus de quarante femmes ; il y a encore – autre tradition du square des Arts-et-Métiers – une figuration enfantine ; on y remarque même un cortège.

Ce cortège – l’entrée des Kabyles à la Cour du Maroc – n’est pas tout à fait aussi imposant que le défilé des dieux de l’Olympe, mais enfin c’est un cortège pour les Bouffes. M. Comte a fait tout ce qu’il a pu pour rendre sa Marocaine aussi attrayante que possible.

Les costumes sont nombreux et tous d’une couleur charmante. Grévin s’est plongé avec délice en plein Maroc. Il en a tiré tout le pittoresque, toute la variété imaginables. A la fantaisie locale, il a ajouté sa propre fantaisie, et il en est résulté un ensemble de lignes bizarres et un mélange de tons d’un joli effet. C’est à la fois brillant et original.

Les coiffures, notamment, sont presque toutes de véritables trouvailles ; il y a des calottes et des turbans invraisemblables. L’idée de donner aux Kabyles des ballons vénitiens en guise de couvre-chef est, à elle seule, plus qu’excentrique : on en verra certainement de pareils aux prochains bals de l’Opéra, car ces ballons-chapeaux sont d’une conception carnavalesque, dans la meilleure acception du mot bien entendu.

Il y aurait trop à citer pour que je ne fasse pas sous ce rapport un certain nombre d’omissions volontaires. Marie Albert, Jolly, Milher, Bonnet, Jannin sont tous plus étincelants les uns que les autres. L’entrée de Tamarjin, le chef kabyle, a causé une certaine surprise : on croyait reconnaître Grévin lui-même, tant l’artiste s’était fait la tête du dessinateur.

Tout le monde en scène se ressentait plus ou moins de la fatigue des répétitions qui, depuis quelques jours, ont pour ainsi dire duré jour et nuit.

Seule, Paola Marié ne semble pas éprouver le contre-coup de ce labeur excessif.

Et pourtant, depuis bien longtemps la sympathique chanteuse se dépense à son théâtre, plus que personne. Elle est de toutes les pièces ; il n’y a pas de bonne corvée, dont on ne lui impose sa large part, et jusqu’à présent rien n’a pu altérer sa bonne volonté, sa vaillance et sa belle humeur.
— Quand je n’ai pas à répéter et à jouer dans la même journée, disait-elle, il me semble que je perds mon temps.

Le second acte de la Marocaine se passe dans un harem.

Le recrutement du sérail a été, me dit-on, la grosse préoccupation des auteurs et de l’administration. Tout le monde s’est mis en campagne pour la composition du nouveau bataillon féminin. On a cherché dans les vingt arrondissements et dans les communes suburbaines pour trouver des chanteuses aussi jolies femmes que possible et des jolies femmes qui chantassent suffisamment.

Un jour, une jeune personne au maintien assuré se présente au théâtre.
— Il vous faut des femmes du sérail, dit-elle, voulez-vous de moi ?
— Le physique est bien, voyons ce que vous savez faire, répliqua le régisseur.

Je ne sais ce que comprit la jeune aspirante ; mais toujours est-il qu’après un quiproquo de courte durée, on s’aperçut qu’on ne pouvait s’entendre.

La charmante enfant ne voulait nullement entrer au théâtre.

Elle croyait qu’il s’agissait d’un vrai sérail.

Un Monsieur de l’orchestre.

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