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Chronique musicale – BOUFFES-PARISIENS : La Princesse de Trébizonde

Le Figaro – Jeudi 18 février 1875

Hamilton a dit au début de son conte des Quatre Facardins :

Faut-il, après le renard blanc,
Faire encor trotter à la ronde,
Et l’héroïne d’Astracan,
Et le prince de Trébizonde ?

La « princesse » des Bouffes n’est ni la femme, ni la fille, ni la petite-fille du prince en question. Ce qui n’empêche pas qu’elle n’ait une noble origine puisqu’elle compte parmi ses glorieux ascendants l’illustre famille Bilboquet des Saltimbanques. La race s’est perpétuée en changeant de nom sans changer de physionomie ni d’emplois : Bilboquet est devenu le baron Cabriolo, à la loterie ; Sosthènes n’a pas changé en devenant tour à tout le pitre et l’intendant Trombolini ; voici encore Atala : la femme sauvage, férue cette fois de l’idée fixe d’avoir été abandonnée sur le grand chemin dans un berceau royal : quand à Zéphirine, elle s’est dédoublée pour donner le jour à une sœur jumelle, qu’elle mariera à Sosthènes, le jour où elle épousera son prince.

À la vérité, la parade musicale dont le théâtre Choiseul vient de renouveler les maillots et de redorer les paillettes n’a emprunté aux Saltimbanques de classique mémoire que son groupe de bateleurs. Ce groupe, lancé dans l’action imaginée par MM. Tréfeu et Nuitter, y exécute toutes les extravagances, s’y livre à toutes les turtulaines que comporte le genre une fois admis. Que les acteurs aient de la verve, que le public soit en bonnes dispositions de se laisser amuser, et tout ira bien. Je constate que tout est bien allé, pièce et musique.

Ce qu’on pouvait regretter à ce renouveau donne à la Princesse de Trébizonde – et ce que n’a pas regretté longtemps le public, ce prince de toutes les ingratitudes – ce n’était point, hélas ! le nez cassé de sa Princesse. Dans l’intervalle de la reprise de cette bouffonnerie, la mort avait mis en pièces les deux meilleures figures du musée de Cabriolo ; c’était Cabriolo lui-même, ce pauvre Désiré, dont les saillies imprévues savaient habiller de neuf les scènes les plus usées par le succès, et dont l’esprit en éveil assaisonnait de finesse les plus grosses drôleries ; c’était l’excellente, l’originale, l’impétueuse Madame Thierret, qui, veuve de Grassot, avait épousé Désiré en seconde noces ; une « Madame Forte-en-gueule » qui, ayant traversé le Théâtre-Français, se ressentait, dans sa désinvolture sur une petite scène et dans un petit genre, des grandes manières de sa jeunesse de comédienne ; en cela semblable à ces roués du Régent et à ces invités aux petits-soupers du roi Louis XV, qui passaient sous la table et se relevaient grands seigneurs !

Mais, après l’avoir écrite, hâtons-nous de déchirer une préface qui a l’air de porter en terre la gaieté et les bonnes folies d’une parade sans queue ni tête.

Le public a beaucoup ri aux coq-à-l’âne de la famille Cabriolo et aux aventures romanesques du jeune prince Casimir amoureux de deux femmes – une princesse en cire et une princesse de théâtre forain – sans être pour cela infidèle à un seul amour.

Ce prince Charmant (on l’a trouvé tel et on le lui a prouvé), c’est Madame Peschard, de retour aux Bouffes-Parisiens après avoir couru des aventures et changé de sexe sur deux théâtres, ici prince émancipé et joué par une grisette, là femme d’un joueur de lyre et faussant le diapason conjugal dans un bal chez Pluton. En s’éveillant de la bacchanale infernale, Madame Peschard a retrouvé le Paradis des Bouffes où on l’a accueillie comme une divinité. Et l’on a eu raison, car prince de Conti ou prince Casimir, c’est la diva de la musique légère et des fredons qui ont des ailes aux pieds. Dans les bonnes notes de sa voix, les notes aiguës, Madame Pescahrd a des accents pénétrants, dont elle sait avec art augmenter la vibration ou attendrir les nuances sur la fin d’une phrase musicale. Elle a supérieurement changé ses deux romances au premier et au troisième acte.

Je me figure (chose impossible) une jeune fille égarée dans une représentation de la Princesse de Trébizonde et recueillant sur les lèvres du prince les Je t’aime ! de la seconde romance : le chemin proverbial pour aller de l’oreille au cœur eût été une traînée de poudre.

Dans sa robe de princesse de féerie, satin bleu brodée d’argent, au troisième acte, Madame Théo était ravissamment jolie. En la regardant, le public semblait lui dire : « Ah ! ne me tente pas ! car je dois me souvenir dans ce rôle de Madame Chamont que tu n’a pas remplacée ! ». M. Daubray est en train de devenir un très amusant farceur ; après n’avoir pas cru la chose possible, me voilà force d’en convenir : ce gros garçon fait rire. Quand le public aura oublié Désiré, te qu’il l’aura tout à fait oublié lui-même, M. Daubray sera plaisant à sa manière, ce qui est la bonne façon de l’être. Bonnet, acteur intelligent, a un excellent masque dans Trombolinino. Il est admis à ce théâtre qu’Edouard Georges est une bonne ganache : à l’épithète près, c’est aussi mon avis. Il y aurait un raffinement de cruauté inutile à nommer la remplaçant de Madame Thierret ; je ne puis qu’honorer son dévouement rempli d’humilité. Quant au prince Casimir, représenté d’original par Berthelier, s’il pouvait se voir jouer devant une glace, comme j’aime à lui supposer du goût, peut-être serait-il tenté de se servir de sa canne sur le sosie représenté dans le miroir… Cette reprise de la Princesse de Trébizonde a réussi.

Bénédict.

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