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Chronique musicale

Le Figaro – Samedi 23 mai 1874

Théâtre des Bouffes-Parisiens : première représentation de Bagatelle, opéra-comique en un acte, de MM. Hector Crémieux et Ernest Blum, musique de M. Jacques Offenbach.

Bagatelle, qui est une étoile d’un caféconcert des Champs-Elysées,rentre chez elle couverte de fleurs et pourtant elle est dans un état de fureur extrême.

Pourquoi ? – Hélas ! elle a été chutée [1] par quatre messieurs qui avaient sans doute trop bien dîné. Pendant qu’elle chantait, l’infortunée, on a imité le coq, et c’est des larmes dans la voix qu’elle a terminé sa chansonnette.

Lorsque tout à coup on a entendu une, deux, trois, quatre claques que recevaient les cabaleurs, puis le public, revenant à sa chanteuse aimée, lui lit une ovation comme chaque soir.

Bagatelle, après avoir raconté à sa camériste toutes les émotions qu’elle a éprouvées, la congédie. Elle rentre dans sa chambre à coucher, et tout en pensant à l’inconnu qui l’a vengée, elle chante comme la Marguerite de Faust « quel est donc ce jeune homme ».

La fenêtre du salon s’ouvre brusquement et un adolescent – Toto sans son uniforme de collégien – pénètre dans l’appartement. A ce bruit, Bagatelle revient et demande à ce jeune homme innocent ce qu’il veut.

— Je vous aime, Mademoiselle.
— Voulez-vous bien vous en aller, petit ! mauvais sujet. Et sans pitié la jolie chanteuse met à la porte ce visiteur nocturne qui entre par les fenêtres pour frapper l’imagination de celle qu’il aime.

L’intrépide Toto-Gandin ne se tient pas pour battu, il revient – cette fois par la porte, – s’enferme dans l’appartement et jette les clefs par la fenêtre.

Permettez-nous d’arrêter ici notre compte rendu, vous irez voir ce petit opéra-comique et nous voulons vous laisser la surprise de la scène à deux personnages qui le termine comme vous l’avez sans doute deviné déjà.

C est notre jeune homme qui a donné les quatre soufflets aux cabaleurs et l’on apprend que ces gentlemen ne sont que des garçons coiffeurs qui s’empressent d’envoyer des excuses à la diva.

Cette bluette très gaie est très amusante, elle a complètement réussi. Offenbach a écrit une partition qui se rapproche beaucoup comme genre de la Chanson de Fortunio, c’est un bel et bon opéra comique, musique élégante, gaie sans grosse caisse ni trombone ; ce sera sans contredit un ouvrage qui restera au répertoire.

Passons maintenant à l’interprétation.

Après un congé d’un mois, Madame Judic a fait sa rentrée dans le rôle de Bagatelle. Le public lui a fait une véritable ovation. Bravos, bouquets, trépignements. On l’a littérablement [2] acclamée. La charmante artiste avait peine à se remettre de son émotion.

Elle s’est révélée dès la première scène en véritable comédienne, et je ne sais pas laquelle, de la chanteuse ou de la diseuse, il faut le plus applaudir.Elle a été doublement adorable. On lui a bissé presque tous ses morceaux : la romance, C’est de la bonne et franche amitié, et la délicieuse chanson qui est du pur Offenbach « Mon petit Mathurin, tu sais bien que je l’aime. » Madame Judie a surtout le talent de charmer, de parler et de sourire, sans ces gestes, ces mouvements, ces déhanchements auxquels se laissent malheureusement aller la plupart de ses contemporaines.

Mme Grivot seconde admirablement Mme Judic. Elle porte le travesti avec une crânerie de gommeux et elle chante et parle avec une finesse et un esprit qui double la valeur de ce qu’elle dit. A côté des deux charmantes artistes, M. Edmond Georges a beaucoup amusé et s’est fait applaudir plusieurs fois dans le rôle épisodique d’une clarinette du cirque Fernando.

Gustave Lafargue.

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