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Courrier de Paris

Le Figaro – Dimanche 25 décembre 1864

Les récits d’arrière saison. – C’est la faute des événements. – Les mystères du peignoir. – Les convives du premier janvier. – Les prêts des épiciers. – Les bénéfices d’un incendie et les profits d’une inondation. – A nous Timothée. – Opinion du beau sexe sur le vilain sexe. – La belle Hélène. – Le moyen d’occuper une place prise. – Offenbach et son talent. – Un compositeur qui n’a pas le droit de composer. – La société des mécontente. – Les antiques et la société moderne. – Un type. – Les fanatiques de Calchas. – La pose à l’érudition. – Racine au Vaudeville. – Un homme très âgé.

(...)

Les seules étrennes que je recevrai cette année je me les suis offertes à moi-même en assistant à la première représentation de la Belle Hélène, et encore avais-je négligé d’aller chercher le fauteuil d’orchestre que la direction des Variétés met obligeamment à ma disposition dans les circonstances solennelles. Pendant une demi-heure j’ai erré dans les couloirs, flagornant les ouvreuses afin d’obtenir un huitième de strapontin, qu’elles m’ont toutes refusé, n’étant pas dupes de mes basses courtisaneries.

Un ami m’a enseigné un moyen qui, dit-il, lui réussit quelquefois. On choisit dans la salle le monsieur le mieux placé et on va lui donner un soufflet. Il sort pour aller chercher des témoins et, tandis qu’il court la ville, vous vous asseyez dans sa stalle où vous voyez tranquillement la pièce.

Le lendemain, vous déclarez au monsieur que vous avez été abusé par une cruelle ressemblance. Vous lui faites des excuses écrites dans lesquelles vous retirez le soufflet, et c’est encore lui qui vous remercie.

Quoique la violence soit le grand élément de succès de notre époque, ce procédé m’a semblé exorbitant. Bien m’a pris de n’avoir pas accepté le conseil qu’on me donnait, car au moment où je succombais à la fatigue, le directeur du Figaro, à qui j’ai conté mon dénuement, m’a offert une chaise dans sa loge, ce qui prouve qu’avec l’intrigue on réussit tout aussi bien que par la violence.

La Belle Hélène, dont le succès a été très vif le premier soir et foudroyant aux représentations suivantes, est une fantaisie épique remplie d’allusions conjugales. En voyant Hélène papillonner avec Pâris en l’absence de Ménélas, une dame de la première galerie s’est écriée :

– Comme c’est nature ! on se croirait chez soi.

Une autre dame a ramené plusieurs fois son voile sur son visage, en rougissait jusqu’à la pointe des cheveux. Il est vrai que son mari riait jaune, ce qui a un peu harmonisé les nuances.

Je n’ai pas à analyser la pièce dont la musique pleine de charme me poursuit encore dans mes rêves, je crois seulement qu’avec son talent, aussi incontestable qu’incontesté, Offenbach doit être le plus malheureux des compositeurs. Quand il écrit une de ces partitions gaies et mouvementées que tout Paris sait par cœur au bout de quinze jours, on lui dit :

– Eh ! bien, monsieur Offenbach, quand donc vous déciderez- vous à faire quelque chose de sérieux ?

Quand il risque, entre deux galops, un morceau semi-sentimental :

– Ah s’écrie-t-on autour de lui, si vous vous lancez dans la grande musique !

Il faut pourtant qu’Offenbach fasse de la musique puisqu’il est compositeur. Or, en dehors de la musique gaie, il n’y a que la musique sérieuse, et si on lui interdit l’une en lui défendant l’autre, je ne sais plus comment il gagnera sa vie à moins qu’il ne mette une fausse barbe, comme la femme qui a tiré sur le curé de Saint-Séverin et qu’il aille sur les boulevards extérieurs attaquer les diligences.

J’indiquerai aux gens prévenus une façon de tout concilier. Ils n’ont qu’à se cotiser entre eux et à servir à Offenbach :

1° Une rente annuelle de vingt mille francs à condition qu’il ne fera plus de musique gaie ;

2° Une autre rente annuelle de vingt mille francs à condition qu’il ne fera plus de musique sérieuse.

Et il est probable qu’après le premier trimestre ils viendront le supplier de se remettre au piano.

Nous avons encore toute une catégorie de spectateurs qui refuseront obstinément de s’amuser à la Belle Hélène, ce sont ceux qui ne veulent PAS QU’ON TOUCHE A ACHILLE.

Quand il voit entrer Calchas avec des tirbouchons et Oreste avec un faux-col, l’homme qui ne veut pas qu’on touche à Achille s’écrie qu’on lui détériore ses dieux, qu’on outrage cette belle mythologie qui a illuminé sa jeunesse, et il demande avec fracas son paletot à l’ouvreuse.

Ne vous laissez pas abuser par ces fausses colères ; vingt-neuf fois sur trente, cet indigné de contrebande est un ancien tanneur ou un pépiniériste dont le but secret est de laisser supposer qu’il connaît à fond les héros de l’Iliade, dont il n’a jamais lu un hémistiche, fût-ce dans la traduction de Bitaubé.

J’étais assis, l’autre soir, à côté d’un de ces lettrés qui s’imaginent qu’on insulte leur famille chaque fois qu’un auteur se permet de travestir l’antiquité. Il poussait des hennissements de douleur en voyant Achille gratter mélancoliquement avec la main droite la crinière de son casque.

– Toucher à Achille grommelait-il à part, toucher à Achille !

– Pardon, dis-je enfin à mon voisin qui faisait mine de vouloir à chaque instant enjamber la balustrade, cet Achille est donc un personnage bien intéressant que vous n’admettez pas qu’on y touche ? Vous seriez bien aimable de m’apprendre un peu ce qu’il a fait, afin que nous mêlions nos sympathies.

Jamais mon homme ne put me raconter un seul trait de la vie d’Achille, si ce n’est qu’il était invulnérable partout ailleurs qu’au talon. Et encore on venait de le dire dans la pièce. Il était évident qu’au fond les dieux et les demi-dieux de l’Olympe l’inquiétaient beaucoup moins que la baisse des suifs ; mais il y a des gens qui mettent leur amour-propre à entendre dire près d’eux :

– Vous voyez bien ce monsieur qui brosse son chapeau avec son coude, eh bien ! il ne veut pas qu’on touche à Achille !

Je souffrirais cette rigueur chez quelques classiques enthousiastes, mais vous ferez facilement l’observation que ceux qui sautent au plafond quand on ridiculise Ménélas mort depuis six mille ans, en admettant qu’il ait jamais existé, sont parfois tes mêmes qui, en parlant de Garibaldi, cet homme si admirable et si sympahique, disent sans le moindre remords :

– C’est un poseur et un imbécile.

Et après s’être étonnés qu’on osât seulement effleurer Homère, ils rouleront tranquillement Victor Hugo dans le macadam.

S’il est au monde une position enviable, c’est bien celle d’un personnage qui n’a jamais existé.

Je crains, par les mêmes raisons, que le directeur du Vaudeville ne se soit exagéré à lui-même son fétichisme pour l’antiquité en fêtant, par un fort solo de violon, le deux-cent-quarante-cinquième anniversaire de la naissance de Racine. Si le théâtre se lance dans les anniversaires, on ne sait pas jusqu’où il peut aller. D’Ennery arrivera à faire à l’Ambigu une pièce pour l’anniversaire de la naissance d’Anicet Bourgeois, qui lui-même en fera une pour l’anniversaire de la naissance de Paul Féval, et on parviendrait ainsi au chiffre fabuleux d’un anniversaire par jour.

Que le deux-cent-quarante-cinquième anniversaire de la naissance de Racine soit cependant le bien venu. Il m’a permis, mercredi dernier, d’entendre un de ces mots qui ne s’inventent pas, mais qui se recueillent.

– C’est singulier, a dit une jeune choriste des Variétés, l’anniversaire de la mort de mon grand-père tombe également aujourd’hui.

– L’avez-vous bien pleuré au moins ? lui demanda quelqu’un par manière d’acquit.

– Oh ! fit la blonde enfant, le pauvre homme était si vieux, si vieux, qu’il est mort COMMANDEUR DE LA MÉDAILLE DE SAINTE-HÉLÈNE.

Henri Rochefort.

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