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Courrier des théâtres

Le Figaro – Mercredi 12 janvier 1870

Nice, samedi.

Mon cher Prével,

Vous savez qu’un rédacteur du Figaro, même en voyage, fait son devoir ; je me hâte donc de vous envoyer quelques détails sur la représentation donnée hier soir par mademoiselle Schneider, au bénéfice des pauvres de Nice, et dont je vous ai déjà annoncé le succès par une dépêche.

Comme à Paris, je vais commencer par vous décrire la composition de la salle ; je doute que jamais le théâtre de M. Avette ait contenu une société aussi aristocratique que celle qui était venue entendre la Grande-duchesse Schneider. Jugez-en vous-même par les noms que voici, sans ordre et au hasard :

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Dans la loge de la préfecture : M. et madame Gavini, le baron et la baronne de Talleyrand, la comtesse Predziescka, le prince Altomonts ;

Le prince et la princesse héréditaires de Monaco, la baronne de Cohaussen, dame d’honneur de la princesse ;

S. A. R. l’infant d’Espagne, duc de Parme ; S. A. R. le duc de Sleswig-Holstein, le prince Guillaume de Holstein-Glucksbourg, frères du roi de Danemark ;

Le comte de Baillet, le comté Micislas Jaraczewski le comte Krassousky le comte de Barème, le prince et la princesse de Castelcicala, M. Prosper Girard, M. et madame Astraudo le marquis et la marquise d’Espeuilles, le marquis et la marquise d’Agrain, le comte Balkousky, le major général Ainslia, le général Dupuis, le général Williams de Kars, le marquis et la marquise de Burbantane, M. et madame Bounin, née Tamburini ;

Madame Hopenhague la princesse Oubloff, M. Rattazzi, madame Harrison, mademoiselle Sping, M. et madame Randonin-Berthier, M. Lacroix, consul d’Angleterre, et madame Lacroix ; M. et madame Avigdor, le comte et la comtesse de Cessole, madame de Boutowski, la comtesse Vistarini, le comte Michel, la princesse Avansky, madame de Bezobrasoff, le prince et la princesse Callimaki ;

La baronne Adolphe de Rothschild, la comtesse Colloredo, M. Griffilh, madame Pantaleoni, lady Paget, M. Malausséna, la vicomtesse Vigier-Cruvelli, la comtesse Oppersdorff, le comte Magnis, le baron de Nervo, M. Hidalgo, le marquis et la marquise de Pennafield, le comte et la comtesse del Borgo ;

Le général Guiomar, la comtesse Bellotti, M. Delchet, M. et madame d’Anzac, le prince Dolgorouki-Argoutinsky, miss Ellison, madame Prodgers, sir Trelauny, le prince et la princesse de Furstemberg, M. et mademoiselle Butler, madame Arson de Saint-Joseph, S. A. G. D. Marie de Hamilton et sa suite, le prince W. de Schilowsky, le comte de Rumine, le baron de Lutichau, le prince Labanoff, le colonel Alexandre Zasaetzki, M. A. de Koller, M. et madame Stanley, le comte de Béthune, le prince Troubetzkoi ;

Le comte et le vicomte de Bellevue, le prince Commitini, le général Schlablickine, le comte Hirscheski ; MM. Geltoukine, Bellonois, Riquelmera ; le prince Lubomirski, le duc de la Conquista, le duc de Glucksbourg, M. de Francia, le chevalier de Brenilly, le comte de Janoville, le comte de Balbeuf, le général de Barral ; MM. Auguste Villemot, Hector Crémieux, Albert Mlilaud, C. des Perrières, Nadaud, Henri de la Madeleine, Malézieux, Adolphe Dupeuty, V. de Courmaceul, Alziary da Roquefort, etc., etc..

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Parlons maintenant un peu de la soirée.

Après une ouverture exécutée par l’orchestre, les frères Lionnet, qui avaient voulu aussi concourir à cette œuvre de bienfaisance, sont venus dire deux chansons d’une façon charmante.

Après cinq minutes d’entr’acte, Offenbach paraît à l’orchestre des musiciens : trois salves d’applaudissements fêtent son entrée.

Le maëstro est un peu pâle, et, quoique habitué au succès, on voit qu’il est ému de l’accueil enthousiaste qui lui est fait. Enfin, le voici au pupitre, l’archet en main ; l’ouverture commence.

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Vous pensez bien, cher ami, quo je ne vais pas vous raconter la Grande- Duchesse. Les artistes de Nice l’ont apprise en huit jours – à Paris il faut trois mois. – Aussi les amours de Wanda avec Fritz me laissent un peu froid, et je cause avec mon voisin. J’ai la bonne fortune d’être auprès du duc de la Conquista, qui, le plus gracieusement du monde, me cite les noms des personnages illustres qui sont dans la salle.

Un silence profond se fait... Ran tan plan, ran tan plan... Arrivée de la grande-dnchesse. Mademoiselle Schneider entre en scène : applaudissements frénétiques. Cinq minutes se passent avant qu’elle puisse parler. Enfin, elle chante : Ah que j’aime les militaires !...

Après le premier couplet, un domestique lui apporte un énorme bouquet. Le second couplet chanté, le même domestique arrive avec une délicieuse corbeille pleine de fleurs.

Bref, le premier acte se termine au milieu des acclamations et des rappels.

Le rideau se relève, et M. Avette, en tenue de notaire le jour d’un contrat de mariage, ramène mademoiselle Schneider qui, encore une fois, est couverte de fleurs.

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En rentrant dans sa loge pour changer de costume, la grande-duchesse entend un gentil petit rossignol qui, lui aussi, veut fêter la diva. Mais, d’où partent ces vocalises ?... On cherche partout ; on ne trouve rien.

Les gracieux gazouillements semblent s’échapper d’un bouquet : on écarte les fleurs et l’on voit une petite boîte en or contenant une miniature d’oiseau, prodige de mécanique offert par la maison Mercier père et fils, de Genève.

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Le succès de mademoiselle Schneider s’est continué jusqu’à la fin de la représentation, et lorsque la diva a quitté le théâtre, il a fallu une voiture pour transporter chez elle les bouquets qui lui avaient été envoyés.

Pendant la soirée, M. Gavini était allé remercier la prima donna dans sa loge.

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Après le deuxième acte, Offenbach, un peu indisposé, a été obligé de partir et de céder sa place au chef d’orchestre du théâtre.

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M. Avette, – un malin, – a fait à mademoiselle Schneider les propositions les plus brillantes pour la décider à donner quelques représentations de la Grande-Duchesse. Mais la diva a refusé. Elle eût préféré offrir un billet de 1,000 fr. aux pauvres de Nice plutôt que de chanter pour eux : elle a cédé fort gracieusement aux sollicitations de M. le préfet et de M. de Villemessant, mais elle a repoussé nettement les offres du directeur.

Si elle eût accepté ces offres, on aurait pu croire qu’elle ne s’était montrée une première fois sons les traits de la grande-duchesse que pour assurer le succès de ses représentations futures. Tout pour les pauvres, rien pour M. Avette !

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Ma dépêche vous disait que la recette s’est élevée à plus de 8,000 francs. Aujourd’hui, je puis vous envoyer le chiffre exact on a fait 8,978 francs !

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Les habitants de Nice, en même temps que les personnes les plus distinguées de la colonie étrangère, ont envoyé à l’aimable cantatrice des bouquets énormes, afin de lui prouver combien on est reconnaissant de ce qu’elle a fait pour les malheureux.

En ce moment, son salon ressemble à un magasin de fleuriste.

C’est décidément bon d’être une grande artiste... et d’avoir du cœur !

Eh bien ! malgré cela, je finirai ma lettre par un reproche, au risque de me brouiller avec une grande-duchesse :

Pourquoi mademoiselle Schneider signe-t-elle des traités avec l’Angleterre ?

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Maintenant, mon cher Prével, en route pour Monaco ! – Vous riez ?... – 17, rouge, impair, passe !... Non, monsieur, pas le moins du monde ! Je vais au concert des frères Lionnet. A demain le compte-rendu.

Poignée de main.

Gustave Lafargue.

Jules Prével.

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