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La Soirée Théâtrale

Le Figaro – Mercredi 15 octobre 1879

Illusions traditionnelles

(...)

Il y a, dans ce monde particulier du théâtre, ce que appellerai des illusions traditionnelles auxquelles personne, entends-tu bien, personne pas même le plus fort ne saurait se soustraire.

(...)

La répétition générale devrait, n’est-ce pas, être considérée comme une épreuve décisive. Le plus souvent, la salle est remplie d’un public sympathique : les parents, les amis, les familles d’ouvreuses, le contrôleur, le chef de claque.

Malgré l’excellente composition de cet auditoire, la répétition générale est navrante. Les camarades les plus dévoués, les plus aveugles, ne peuvent trouver une seule fois l’occasion de rire ou de faire entendre quelques bravos. La pièce ne rend rien.

C’est bien réellement mauvais ; il n’y a plus d’illusions possibles.

Eh bien ! on s’illusionne plus encore que pendant les répétitions.

Tout le monde s’en mêle. C’est un concert de consolations réciproques :

– Bah ! les grands succès s’annoncent généralement comme des fours ! c’est à cela qu’on les reconnaît !

– Bah ! on croyait que le Chapeau de paille d’Italie ne finirait pas... Les artistes n’avaient même pas appris le dernier acte !

– Bah ! à la répétition générale de la Vie Parisienne, Meilhac et Halévy voulaient retirer la pièce !

– Bah ! la veille de la première de la Fille de Mme Angot, Cantin disait à Milher de se préparer à reprendre bientôt le froc de Me Fulbert, d’Héloïse et Abeilard !

– Bah ! les Deux Orphelines n’ont pas marché du tout devant la censure.

Et tous en chœur :

– Ça va très mal... tant mieux ! Mauvaise répétition générale, bonne première ! Enfin, elle arrive, cette fameuse première. En dépit des illusions traditionnelles, le four est complet, incontestable.

Le lendemain, les amis du directeur lui font leurs compliments de condoléance.

Il se recrie ; il lutte encore.

– C’est vrai, dit-il, la pièce est bien mauvaise... mais attendez quelques jours... avec des artistes comme les miens, on ne sait jamais... laissez-les faire leurs rôles... et vous verrez... dans une huitaine... c’est ce qui est arrivé pour Orphée aux enfers... nous tenons peut-être un succès !

Un Monsieur de l’orchestre.

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