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La Soirée parisienne

Le Gaulois – Vendredi 27 décembre 1878

LES BRIGANDS

Donner une première un jour de Noël, quelle délicieuse idée. Chacun s’imaginait passer la soirée en famille : crac ! il faut tout quitter, d’autant plus que l’affiche annonce que l’on commencera à sept heures. Une heure commode ! Il est vrai que huit heures avaient sonné sans que l’on eût commencé l’ouverture.

La salle s’emplit assez tard : les premiers arrivés se précipitent sur ceux qui les suivent.

– Vos paletots ! ne les quittez pas, il fait un froid de loup.

On gèle absolument. Il est vrai qu’on n’est pas mal du tout, pendant les entr’actes, sur le square des Arts-et-Métiers. Chacun vient s’y réchauffer.

Au rideau !

Offenbach est ému comme pour une vraie première. C’est que, quand il a un but, il le poursuit avec énergie.

Gâté par les mises en scène du théâtre « An der Wien » où l’on joue ses opérettes avec quatre cents personnes sur le théâtre, il a voulu voir passer tout son répertoire à la Gaîté.

Il a commencé avec Orphée et Geneviève de Brabant ; il continue avec les Brigands.

Une coïncidence curieuse : lorsqu’il les donna pour la première fois, ce fut un vendredi, et le mardi on avait joué la Princesse de Trébizonde. Or ce soir, lendemain de la reprise, a Iieu la première représentation de Madame Favart.

Les Brigands ne vont jamais seuls.

On sait que le rôle de Fiorella fut créé par Mlle Aimée ; il fut repris par Mlle Heilbron, qui depuis... mais alors...

Cette fois on avait choisi Mme Dumas-Perretti, puis Mlle Tony Reine ; quand Offenbach vint assister aux répétitions, il rendit justice à l’heureux choix de la direction, complimenta ses interprètes et s’empressa de faire engager Mme Peschard.

C’est la Fiorella de ses rêves. Le public lui a fait, par acclamation, bisser la malagnena qu’on a intercalé pour elle au deuxième acte, sans que les auteurs de Maître Péronilla aient protesté.

Mme Peschard est tout à fait charmante ; mais quel vilain costume on lui a fait au premier acte elle a l’air du Petit Chaperon-Rouge.

Les modifications consistent surtout en un élargissement général il n’est pas jusqu’aux airs de Falsacappa qui ne se chantent maintenant à deux voix.

Les étourdissants carabiniers sont une compagnie avec musique militaire. Grosse attraction !

Il y a deux ballets. Pour le premier on a manqué un effet pittoresque : on nous montre des brigands en soie et satin ; trop de fleurs !

Dans le deuxième, admirablement habillé, signalons une innovation heureuse les danseuses ont leur nom écrit en grosses lettres sur leurs tambours de basque. Avec une lorgnette, on sait tout de suite à qui on a affaire ; mais les adresses n’y sont pas.

Nous avons applaudi une danseuse très forte ; elle pèse au moins cent kilos.

Quand elle s’est promenée un instant sur la scène, on peut risquer les chevaux du fameux cortège.

Il ressemble d’assez loin au tableau de Mackart, la pudeur d’Offenbach s’étant opposée à ce qu’on fit paraître les fameuses femmes nues. Mais la fin du deuxième acte rappelle très bien le tableau de Robert Fieury, les Russes fusillant les révoltés polonais. Quant à Christian, terrassant le précepteur espagnol que, par une attention exquise, on a fait ressembler au Basile des journaux illustrés, on jurerait la fontaine Saint-Michel.

Le décor dans lequel se passe cette scène est très beau : c’est celui du Roi Carotte.

Nous ferons une seule critique pourquoi ces infirmités dégoûtantes des mendiants au commencement ? Il y a surtout un pif malade qui ressemble d’une façon pénible à celui d’un personnage politique bien connu.

Mais ce qu’il faut louer sans restriction, c’est une claque à toute épreuve, une claque à trois ponts. Ces messieurs du lustre ont chauffé la pièce avec une énergie que nous recommandons au calorifère. On aurait cru, ma parole qu’ils travaillaient pour eux.

Avec joie, nous avons vu dans les cou loirs les gardes municipaux en grande tenue ; c’est la première fois que cela arrive. Ils étaient, avec leurs casques et leurs plumets rouge, superbes comme pour un gala.

Un instant, on a cru qu’il y avait une scène dans la salle et que c’étaient les carabiniers.

Quelques bons esprits ont pensé que c’était un luxe de l’administration : c’était tout simplement... Noël.

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