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La soirée théâtrale

Le Figaro – Samedi 6 septembre 1873

Réouverture de la Renaissance

Il était dans un des quartiers les plus fréquentés de Paris, un charmant petit théâtre, élégant et coquet au possible qui se mourait de consomption. On avait appelé à son secours les médecins les plus émérites. En désespoir de cause on avait été même jusqu’à appeler au chevet du malade les docteurs Touroude et Zola, hommes aux remèdes énergiques, qu’on ne fait venir que dans les cas désespérés.

Rien n’y avait fait. La dernière heure du pauvre petit théâtre approchait.

C’est alors qu’un grand sorcier du nom de Jacques Offenbach demanda à voir le malade. Aussitôt il se mit rire et s’écria qu’on l’avait soigné en dépit du sens commun on lui avait fait avaler du poison quand il avait besoin de pralines et de fleur d’orange. On l’avait enveloppé de ténèbres, il ordonna de prodiguer autour de lui la lumière et la musique, et à cette coalition promit une guérison radicale.

Vous verrez que le grand sorcier, cette fois encore, aura raison.

C’est en partie la troupe chantante de la Gaîté qui joue à la Renaissance.

L’étoile de la maison, celle qui doit attirer dans la caisse de M. Hostein des recettes pharamineuses [1], la femme à sensation dont le nom doit briller en vedette sur les affiches de la Renaissance, la débutante qu’on attendait avec une certaine curiosité, c’est mademoiselle Théo.

Il ne m’appartient pas d’apprécier l’artiste, ni même de dire si les espérances de la direction ont été ou non confirmées tout cela est du domaine de mon collaborateur Bénédict. Mais quelques renseignements sur la femme sont de ma compétence.

De tout temps Paris, à côté de ses étoiles dramatiques, a voulu avoir des contre-étoiles. A côté de la Patti, il y a eu Nilsson ; Lagier a essayé de contre-balancer la vogue de Thérésa ; mademoiselle Théo vient faire concurrence à Judic. Elle débute dans un rôle écrit pour Judic ; comme Judic, elle vient en droite ligne du café-concert. Seulement, c’est une Judic blonde.

Elle est fille de madame Anna Piccolo, qui fut pendant longtemps la directrice du pavillon de l’Horloge, un des premiers cafés chantants des Champs-Elysées.

La petite Théo fut élevée derrière le comptoir, entre un bock et une chanson. Toute petite, elle sut par cœur le répertoire de la troupe maternelle.

Mais madame Piccolo vendit un jour son établissement à M. Thomas, du Soleil. Celui-ci y installa un gérant inhabile ; l’affaire périclita, et madame Piccolo y perdit une partie de sa fortune.

C’est alors que sa fille sentit la vocation se réveiller en elle. Elle débuta d’abord aux Variétés dans une opérette de Lecocq,puis le directeur de l’Eldorado lui fit des propositions si belles qu’elle se décida à entrer à l’Eldorado. C’est à l’Eldorado qu’Offenbach l’a enlevée à prix d’or.

– Voyez-vous, disait hier en parlant d’elle une camarade jalouse, si Théo réussit, il n’y aura plus de pièce sans elle. Elle sera comme Judic aux Bouffes inamovible. La Renaissance ne sera plus un théâtre, mais une Théocratie !

Autre débutante, plus modeste mademoiselle Dartaux.

Mademoiselle Dartaux a été danseuse au théâtre de Bordeaux et... à l’Opéra-Comique.

Ce dernier théâtre a dû se séparer d’elle parce que, oubliant le mutisme que lui commandait son emploi de danseuse, elle ne se trouvait jamais en scène sans fredonner les morceaux qu’on chantait autour d’elle.

On lui dit un beau jour :

Vous dansiez, chantez maintenant !

Et elle chante !

Un mystère que je n’ai pu pénétrer et qui a échappé aux plus sagaces plane et planera toujours sur la paternité de Pomme d’api, la plus importante des quatre pièces qui composaient la réouverture.

William Busnach y a pour collaborateur Halévy !

Quoi ! Halévy sans Meilhac ! au lendemain du jour où les deux inséparables semblent recommencer leur lune de miel avec le succès de Toto chez Tata !

Et comme je faisais de vains efforts pour m’expliquer cette infidélité de Ludovic à l’égard de Henri, quelqu’un de bien informé me dit :

Est-ce que la pièce n’aurait pas été écrite par Halévy au moment où Meilhac lui faisait des traits au Théâtre-Français en écrivant Nany avec de Najac ?

Je m’empresse de ne pas insister sur ce sujet délicat. Ne troublons pas la paix du ménage !

UN MONSIEUR DE L’ORCHESTRE.

[1sic

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