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Les premières représentations

Le Petit Journal – Dimanche 28 janvier 1877

Variétés : Le Docteur Ox, opérette-féerie en trois actes et six tableaux, tirée du roman de M. Jules Verne, par MM. Philippe Gille et Arnold Mortier, musique de M. Jacques Offenbach.

Ceux qui ont lu l’amusante fantaisie scientifique de Jules Verne : Une expérience du docteur Ox connaissent la nouvelle pièce des Variétés. Un des heureux et spirituels auteurs du Voyage dans la Lune, M. A. Mortier et M. Philippe Gille, dont les succès au théâtre sont nombreux, et qui tourne aussi joliment le couplet que la nouvelle à la main, se sont associés pour tirer six tableaux du récit du conteur.

Une expérience fort curieuse, de M. Tessié du Motay je crois, avait fourni à Jules Verne l’idée première de sa nouvelle. Cette idée c’est que si l’on parvenait à saturer l’air respirable de plus d’oxygène qu’il n’en contient, l’existence humaine, plus fouettée, plus excitée, serait comme décuplée par cet agent de vie.

Donc, le docteur Ox faisant traverser d’un courant électrique de vastes caves pleines d’eau, parvient à tirer un gaz remarquablement brillant, presque aveuglant, de l’hydrogène et de l’oxygène combinés.

C’est le gaz oxhydrique. Ce gaz communique à la petite ville de Quiquendone, – une ville flamande si paisible, si calme d’ordinaire – une fièvre surprenante. La vie s’y trouve excitée à un point difficile à dire. Un vaste roucoulement de colombes emplit cette honnête cité où les fiancés se faisaient la cour durant des années patiemment sans s’embrasser même le bout des doigts. La moindre injure d’un voisin fait monter le sang au front des Quiquendonois, et la guerre est déclarée pour une mouche qui vole. Ah ! mais !…

Et c’est le docteur Ox et son préparateur Gédéon Ygène qui ont tout fait avec leur gaz. Quand Prascovia, une princesse circassienne que le docteur a eu l’indélicatesse d’épouser à demi et de laisser là pour revenir en Europe, quand Prascovia, qui, pour se venger, enlève au docteur Ox la clef du modérateur de ce gaz irrésistible, veut rendre cette clef au docteur Ox (– échange pour échange, votre main contre votre clef) – la clef est perdue et, faute d’un modérateur, la cité de Quiquendone risque fort de ressembler à la patrie même des forcenés.

Heureusement, l’usine saute, l’usine où Ox et Ygène fabriquaient leur gaz, et Quiquendone redevient aussitôt « la cité paisible, flegmatique et flamande qu’elle était autrefois. »

Nous avons eu, avec le Tour du Monde et le Voyage dans la Lune, la féerie scientifique. Voici l’opérette scientifique. On en pourrait trouver la formule chimique H² + O² = un succès.

Comment peut-on s’imaginer d’ailleurs qu’Offenbach ait brodé de la musique sur ce thème nouveau ? Offenbach ne connaît point d’obstacles. Il a mis en musique, en duo, le mot qui sert au docteur Ox pour ouvrir ou fermer le modérateur, et ce mot thésaurochrysonichochrisidés, chanté par Judicet et Dupuis, fournit, – je vous le jure, – un motif très charmant et qui deviendra populaire.
Voilà qui est plus fort encore que Bu qui s’avance !

Il y a une idée philosophique et railleuse dans le récit de Jules Verne, fort habilement mis en scène par MM. Philippe Gille et Mortier. Le premier tableau, cet intérieur flamand où des faïences de prix dorment à côté de tulipes qui fleurissent lentement dans les vases de cuivre hollandais, fait très bien ressortir l’animation, la verve emportée des autres.

Mme Judic est fort jolie dans son costume de fille de Bohême. Elle a ébouriffé ses cheveux de façon à se donner l’aspect bizarre, inquiétant et attirant à la fois, de la Salomé de Regnault. Elle a très bien chanté l’air de la Guzla, qui eût étonné et amusé Prosper Mérimée, l’auteur de la Guzla.

Dupuis est toujours bien drôle. Le duo en langue flamande qu’il chante avec Mme Judic a diverti la salle.

Pradeau est né bourgmestre flamand, et Baron a la tête et la voix les plus fantastiques du monde : c’est la plus amusante des clarinettes enrouées.

Daniel Bac, toujours original, s’est fait une bonne physionomie de Circassien. Dailly n’a pas assez de rôle. Guyon porte l’uniforme flamand d’une façon comique.

On a fait venir de l’Eldorado une jeune femme qui serait fort gentille si elle n’était pas prétentieuse, Mlle Beaumaine. La préciosité est son défaut. Et le naturel est chose si charmante !

De jolis décors, de jolis costumes, une musique alerte (Offenbach n’a jamais écrit rien de plus original que sa Marche des tziganes), voilà le bilan de la soirée. Les auteurs et le compositeur ont également été applaudis. J’oubliais un acteur, un des plus importants en cette heure de théâtre scientifico-féerique, c’est le Gaz oxhydrique. Il s’est fort bien acquitté de son rôle. Il a brillé, il a scintillé, il a ébloui au point que pour l’admirer il faudrait faire mettre des verres bleus à sa lorgnette.

JULES CLARETIE.

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