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Théâtres

Le Figaro – Mardi 8 janvier 1867

Monsieur le rédacteur,

Vous avez cru devoir raconter au public une petite altercation, toute intime, qui s’est élevée entre mademoiselle Schneider et moi, dans les coulisses des Variétés. Vous n’assistiez pas, monsieur, à cette aimable scène de famille, et vous avez, malheureusement pour moi, donné créance au rapport de gens qui ne paraissent pas être mes amis, et qui, à coup sûr, ne sont pas ceux de la vérité.

Il n’y a dans toute votre histoire qu’un seul point d’exact c’est que, jouant la Belle-Hélène, à côté de mademoiselle Schneider, je me laissais aller en scène à la fantaisie de quelques cascades. J’avais tort, je le reconnais la Belle Hélène est une tragédie sérieuse qu’il faut jouer sérieusement. J’aurais dû imiter mes camarades, qui, comme on sait, ne changent jamais un mot au texte consacré, et se feraient scrupule d’ajouter un seul geste à leur rôle. J’aurais dû surtout prendre, exemple sur mademoiselle Schneider elle-même, qui ne se
permet aucune de ces libertés ; dont toutes les attitudes sont si
réservées et si dignes ; et qui s’efface toujours avec tant de complaisance, au second plan, quand son personnage l’exige.

Que voulez-vous, monsieur, l’homme n’est pas parfait, ni la femme non plus, comme dit une de mes camarades, une vraie comédienne, celle-là, et qui a trop de talent pour n’avoir pas beaucoup de modestie et de bonne grâce.

Je me suis oubliée une fois. J’ai eu imprudence de croire que l’Oreste de M. Meilhac n’était pas celui de Racine, et que mademoiselle Schneider, si déguisée qu’elle fût en Belle Hélène, n’avait qu’un rapport très lointain avec mademoiselle Rachel.

C’est une faute, et vous voyez avec quelle bonne foi je m’en accuse mais aussi ne puis-je souffrir qu’on m’en impute d’autres que je n’ai point commises. Vous laissez entendre, monsieur, que j’aurais apostrophé mademoiselle Schneider d’expressions qui sentent les halles. Non, monsieur, de mauvais plaisants ont abusé de votre candeur. C’est elle, au contraire, c’est cette belle Hélène, qui m’a fort gratuitement accablée d’épithètes, que je n’oserais redire, et qui montrent bien que, si elle s’est fait reconnaître plus tard pour la fille du roi de rois, elle n’avait pas été élevée dans son palais. J’ai, pour moi, gardé envers elle ce respect compatissant que je devais à son âge et à sa grande fortune si laborieusement conquise. Peut-être lui ai-je un peu, par manière de raillerie, montré les dents, et ce n’est pas précisément ma faute si elle n’a pu me rendre la pareille. Elle a sans doute ses raisons pour préférer l’invective au sourire. Elle la lance, comme un trait empoisonné, mais il n’en est résulté aucun mal pour moi. Je me tenais à distance, et de côté.

Il est vrai qu’à cette querelle je perds un rôle que j’ai joué deux cents fois déjà, et non sans quelque succès ; mais j’y gagne de ne plus le jouer auprès d’elle, et de n’avoir plus à lui donner la réplique en face. C’est encore tout bénéfice.

J’attends de votre seule courtoisie, monsieur, l’insertion de cette lettre. On m’assure que les huissiers, en cette occasion, seraient ravis de me prêter leurs obligeants services.

Mais je laisse aux artistes qui ont eu souvent des démêlés avec le Code civil l’ennui ou la joie de faire marcher ces messieurs.

J’ai l’honneur, monsieur, de vous présenter mes civilités empressées.

L. Silly

Jules Valentin.

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