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Paris l’été

Le Figaro – Mercredi 9 juillet 1879

Saint-Germain
I

Parmi les villas, très peu nombreuses, qui se partagent le joli coteau de Saint-Germain (en Laye pour les géographes), il en est une qui attire plus spécialement les regards. Elle est admirablement située, en avant de la colline, toute blanche, flanquée de petites tourelles à petits créneaux un château féodal en sucre. C’est là que demeure le fidèle collaborateur de Meilhac, M. Ludovic Halévy.

Halévy est le premier à débiner l’architecture de sa maison, qu’il compare volontiers à ces petits monuments en plâtre, à vitraux de couleur, dans lesquels les confiseurs italiens mettent, le soir, une veilleuse allumée pour orner la devanture de leur boutique.

Mais, je m’empresse d’ajouter que ce n’est pas lui qui l’a fait construire. Il l’a achetée, telle qu’elle est, tout de suite après la guerre, au président du tribunal de la Seine, M. Benoit-Champy, qui la tenait lui-même de M. Parisot, le fondateur de la Belle-Jardinière.

Ce M. Parisot avait acquis une partie du coteau de Saint-Germain et fait bâtir la villa aux tourelles selon ses goûts personnels un schloss de burgrave revu et corrigé par un marchand de confections. En 1848, on vendit la propriété Parisot, en la morcelant, ce qui fait qu’aujourd’hui il y a, autour de la villa Halévy, un groupement bizarre de maisons d’une topographie difficile à première vue.

Ainsi, de plain pied avec le jardin Halévy, une terrasse magnifique, garnie de corbeilles de fleurs superbes, est tout simplement le toit d’une maison appartenant à un riche banquier de Paris. Le toit est à Halévy, mais la maison n’est pas à lui. Et comprenez-vous la situation du banquier qui possède la maison, mais qui n’a pas le toit ?

On se promène, dans le jardin. Tout à coup, on se trouve devant un escalier.
— Voulez-vous voir ma serre ? demande Halévy[.]
— Volontiers.

On descend deux étages et l’on se trouve dans une serre superbe. Tout cela est plein de surprises et de fantaisie, mais tel que cela est, c’est absolument charmant. D’abord, si, l’extérieur de la maison laisse à désirer, au point de vue du goût et de la simplicité, l’intérieur est délicieusement joli. De la salle à manger à pans coupés, avec des glaces sans tain aux quatre coin, on jouit de la plus belle vue qu’il soit possible d’imaginer, celle de la terrasse de Saint-Germain, avec le côté droit du paysage en plus. Le jardin est ravissant. Au fond, une vieille petite maison, tapissée de rosés grimpantes, sert d’annexe à la villa principale. Elle contient un nombre incalculable de chambres d’amis, car les visiteurs se renouvellent sans cesse dans cette maison hospitalière, dont Mme Ludovic Halévy fait les honneurs avec une bonne grâce exquise. En ce moment, le vieux père d’Halévy y demeure.

M. Halévy père a des souvenirs bien intéressants. On parlait dernièrement d’un vaudeville qu’il faisait répéter, aux Variétés, il y a cinquante ans.
— Je vois encore Hyacinthe, nous disait-il. Il arrivait aux répétitions à cheval ; il avait de grandes bottes, et, pendant que l’on répétait, il attachait son cheval à un arbre du boulevard !

Cette anecdote nous avait beaucoup amusés. Halévy, pour la compléter, alla chercher dans sa bibliothèque une ancienne gravure coloriée, représentant la façade du théâtre des Variétés vers 1810. Vous avez pu la voir, cette gravure, bien qu’elle soit assez rare. Le boulevard Montmartre y ressemble énormément aux allées du Bois de Boulogne. Le père Dupin, le vieux vaudevilliste, le collaborateur de Scribe, qui se trouvait avec nous, la regarda attentivement.
— Il est bien entendu, lui dit-on, que vous vous rappelez le boulevard Montmartre ainsi ?
— Je me le rappelle même, répondit le doyen des auteurs dramatiques, le plus simplement du monde, à un moment où il n’y avait pas de Variétés du tout !

II est impossible de visiter la maison Halévy sans monter au belvédère, ménagé sur la plus haute tourelle de la villa. De là-haut, le panorama prend des proportions véritablement grandioses, On voit Marly, sa forêt et son aqueduc, les jolis villages de Mareil et de Fourqueux, Louveciennes, Port-Marly, Rueil, Chatou, le Vésinet, le Pecq, les hauteurs d’Argenteuil et de Sannois, Saint-Denis et sa cathédrale, Cormeil, Maisons-Laffitte et des milliers de maisons de campagne, de villas, de châteaux. On distingue à Port-Marly les tourelles du magnifique château des Lions, occupé par M. Georges Rodrigues ; devant nous – sur la terrasse – l’ancienne propriété Moïana, aujourd’hui à M. Parisot fils, et, un peu plus loin, une grande maison en briques rouges, une propriété superbe, la plus belle de Saint- Germain, à ce qu’il paraît, appartenant à Alfred, le tailleur de la rue de la Paix.

Il faut descendre dans la ville pour trouver les maisons où, pendant toute l’année, habitent Francis Wey et l’excellent peintre Bonvin, mais seulement l’été, une maisonnette fort gentille.

Enfin, nous voici au pavillon Henri IV.

C’est là que nous trouvons Henri Meilhac.

Meilhac à la campagne C’est un étonnement profond pour tous ceux qui le connaissent. Le spirituel auteur a toujours professé une horreur insurmontable pour les arbres, les prés verts, les vastes horizons, les chants du rossignol et tout ce qui ravit les amoureux des champs. Jusqu’à présent, ses amis ne l’avaient jamais pu entraîner plus loin que la cascade du Bois. Comment Halévy l’a-t-il décidé à venir passer un mois – peut-être deux – à Saint-Germain ? Je n’ai pas essayé d’approfondir ce mystère. Je sais seulement que les deux collaborateurs travaillent beaucoup à la comédie qu’ils ont promise au Vaudeville, pour l’hiver prochain.

Meilhac occupe, au Pavillon Henri IV, l’appartement du rez-de-chaussée dans lequel Offenbach était installé pendant le mois de juin. Le maestro est parti pour les eaux de Wildbad, Il a l’habitude d’aller s’enfermer au pavillon toutes les fois qu’il a un travail pressant à finir. Cette année, le travail pressant s’appelait les Contes d’Hoffmann. Offenbach n’avait avec lui qu’un valet de chambre, un lévrier russe auquel il a donné le nom de Kleinsach, et son piano.

Meilhac mène une vie moins retirée à Sainte Germain. Il va à Paris le plus souvent possible, mais il a une excuse : le mauvais temps.

Dans l’appartement du premier, juste au-dessus de Meilhac, mon confrère Albert Wolff a pris ses quartiers d’été.

L’appartement de Wolff est celui dans lequel M. Thiers est mort, un appartement historique.

Et je crois devoir profiter de l’occasion, pour avertir les historiens : on est en train de dénaturer l’histoire des derniers moments de M. Thiers.

Voici comment j’ai fait cette importante découverte :

On sait que le premier Président de la troisième République était en train de manger un plat de haricots quand il fut frappé de la congestion cérébrale qui mit fin à ses jours.
— Ces haricots sont trop cuits dit-il, puis il fut frappé d’un vertige et il s’affaissa sur sa chaise. Il mourut sans avoir repris connaissance.

Nous causions de cela, entre amis, l’autre jour, à dîner, et nous philosophions sur le caprice du Destin, qui avait voulu que les dernières paroles d’un grand et illustre homme d’Etat fussent :

« Ces haricots sont trop cuits ! »

Le maître de l’hôtel avait prêté à notre conversation une oreille attentive.

— Permettez-moi, messieurs, dit-il tout à coup en nous interrompant, de rectifier une erreur. Ce n’est pas là ce que M. Thiers a dit avant de mourir.

Nous levons la tête, fort intrigués.

— Et qu’a-t-il dit ? demandâmes-nous avec ensemble, nous attendant à la révélation intéressante de quelque dernière pensée plus élevée, mieux en rapport avec le personnage.

Le maître d’hôtel, fier de notre attention, nous répondit d’une voix émue :

— M. Thiers a dit « Ces haricots sont excellents ! »

Un Monsieur de l’orchestre.

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