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Théâtre des Variétés

Revue et gazette musicale de Paris – 19 décembre 1869

Les Brigands, Opéra-Bouffe en trois actes, paroles de MM. Henri Meilhac et Ludovic Halévy, musique de Jacques Offenbach. (Première représentation, le 10 décembre.)

Ces brigands-là n’ont rien de commun avec ceux de Schiller ; ils n’ont pas la prétention de remuer la moindre question sociale, et s’ils poussent jamais les foules émues à les imiter, ce ne sera pas sur les grandes routes, comme l’ont fait quelques admirateurs fanatiques du poëte allemand, mais au carnaval, dans les bals masqués, quand l’orchestre attaque joyeusement la ritournelle des refrains d’Offenbach. Tout au plus trouverions-nous dans la pièce de MM. Meilhac et Halévy une morale de circonstance, c’est que les plus adroits bandits ne sont pas de la force des caissiers, quand ceux-ci entrent en lutte avec eux.

Falsacapa est un émule de Fra-Diavolo, mais à distance. Les affaires ne vont pas dans la montagne, et la troupe se plaint de la faiblesse des dividendes. Le chef a pour consolation une charmante fille et un vieil ami qui a guidé ses premiers pas dans la voie paternelle. Mais les autres mangent du pain noir, sans aucune espèce de compensation. Il faut que cela finisse. Justement un petit fermier, dépouillé par Falsacapa, et devenu bandit par amour pour sa fille, opère ses débuts d’une manière brillante, en arrêtant un courrier de cabinet, porteur de d’épêches [1] précieuses. On apprend par cette correspondance qu’une ambassade du prince de Grenade amène au prince de Mantoue une jeune et belle fiancée qu’on lui délivrera en échange d’une somme de trois millions, formant la balance d’un ancien compte entre les deux souverains.

Une idée triomphante traverse le cerveau de Falsacapa. Après avoir susbtitué [2] le portrait de sa fille à celui de l’infante, il engage le courrier à continuer sa mission, puis il va attendre avec toute sa troupe, à l’auberge voisine, le passage de l’ambassade. Les hidalgos, trop confiants, tombent dans la nasse, on leur prend leurs habits, on les coffre pêle-mêle avec les carabiniers envoyés à la poursuite des bandits. Après quoi, Falsacapa et les siens, transformés en seigneurs espagnols, se présentent effrontément à la cour de Mantoue, pour toucher les trois millions, contre lesquels ils sont prêts à livrer la fille du chef, dont le portrait substitué établit suffisamment l’identité. Falsacapa est un habile homme qui a tout prévu, sauf une seule chose, à savoir que le caissier du prince de Mantoue a mangé la grenouille avec des femmes, et qu’il ne lui reste plus en caisse qu’un misérable appoint de mille à douze cents francs avec lequel il compte désintéresser l’ambassadeur de Grenade ; Falsacapa en est donc pour ses frais, et l’arrivée du véritable envoyé espagnol pourrait bien aggraver sa situation ; mais le prince de Mantoue a reconnu dans la fille du bandit une généreuse enfant qui lui a sauvé la vie tout récemment, et une amnistie générale rend les brigands à leurs honorables travaux. C’est ainsi qu’on entend la police des grands chemins dans la principauté de Mantoue.

En somme, la donnée de cette pièce est plaisante, surtout dans sa dernière partie. On y retrouve l’esprit et le savoir-faire de deux auteurs habitués à de beaux succès. Divers personnages sont en général fort bien tracés ; la fille du bandit, le petit fermier son amoureux ne manquent pas d’un certain attrait. Plusieurs rôles accessoires ont aussi du relief, et entre autres celui de ce brigand à lunettes d’or qui a été banquier, celui du vieux voleur classique, qui regrette le bon temps des diligences, celui du caissier et l’ébouriffante caricature du capitaine des carabiniers, si bien servie par la haute taille et par la tournure dégingandée de l’artiste qui la représente. Au milieu de ce tohu-bohu de bandits, de soldats, d’hidalgos, de marmitons, de seigneurs italiens, il y a bien par ci par là quelques longueurs qui nuisent à l’action, mais il est aisé de les faire disparaître, et quand ces sacrifices seront accomplis, nous ne voyons pas ce qui pourrait arrêter l’essor du nouvel opéra-bouffe des Variétés.

S’il était besoin, la partition d’Offenbach pèserait d’un poids décisif dans la balance.

Il y a beaucoup de musique au premier acte, et il ne faut pas s’en plaindre, car elle est bien venue. Ainsi, nous signalerons le choeur d’introduction, l’entrée des femmes qui suivent Falsacapa déguisé en moine : Bon ermite, où nous conduis-tu ? et la réponse du faux ermite : Dans le sentier de la vertu. Falsacapa a naturellement son air de bravoure dont nous n’avons trop rien à dire ; nous préférons celui de sa fille Fiorella : Au chapeau je porte une aigrette, et même les couplets du fermier Fragoletto, bien qu’ils ne valent pas ce dernier. Citons encore cet ensemble parodié du grand opéra : Cette affaire n’est pas claire, puis, dans un autre ordre d’idées, l’air vif et animé du courrier de cabinet, et surtout le finale, qui aura du retentissement à cause d’une ronde ou marche des carabiniers, plutôt parlée que chantée par Baron, dont l’organe, semblable à une grosse cloche fêlée, se prête merveilleusement à la bonne charge des paroles.

Autour de cette ronde, circule un ensemble bouffon sur les Bottes, les Bottes de ces mêmes carabiniers. Tout cela est plein d’entrain et de gaieté.

Le second acte, moins touffu au point de vue musical, se recommande par un morceau en canon parfaitement réussi, dans lequel les compagnons déguisés de Falsacapa viennent deux par deux, demandant l’aumône à l’aubergiste dont ils vont prendre tout à l’heure la place et le costume, et ensuite, par de charmants couplets à deux voix de femmes : Eh ! là, joli notaire, qui se terminent par des éclats de rire que les choeurs accompagnent. C’est, selon nous, ce qu’il y a de mieux dans la partition, et ce n’est pas un mince éloge.

Que dire, après cela, de l’air des Marmitons et de l’entrée des Espagnols, qui ne paraissent qu’en dansant et en jouant des castagnettes ? Ils pâlissent un peu devant le morceau que nous venons de citer.

Néanmoins, cette influence ne doit pas s’étendre jusqu’au troisième acte, où nous trouvons un chœur très-délicatement travaillé en contre-point, et des couplets comiques chantés par le caissier : « Voilà mon caractère. » Léonce, qui ne brille pas par la voix, les a dits savec [3] assez de finesse pour qu’on les lui redemandât.

Le principal rôle de la pièce, celui de Falsacapa, appartient à Dupuis. Est-ce la faute des auteurs, est-ce la sienne ? Malgré ses nombreux travestissements, il s’épuise en vains efforts pour attirer à lui l’effet auquel la prééminence de son personnage semble lui donner des droits. En y réfléchissant, sa double position de père et de bandit pourrait bien être la cause de ce fait bizarre. On rirait peut-être davantage du chef de brigands, s’il n’avait pas un de ces intérêts de famille qui ne vont pas sans gravité. Sous cette réserve, Dupuis est toujours le comédien intelligent et le chanteur agréable que l’on sait.

Sa fille, c’est Mlle Aimée, une jolie femme, qui joue bien et qui a de la voix, beaucoup de voix. On l’applaudit à juste titre, et on l’applaudira bien autrement, lorsqu’elle aura acquis par l’étude le complément de ses qualités naturelles.

Mlle Zulma Bouffar est vouée aux travestis ; du reste, elle porte fort bien le costume du petit fermier Fragoletto. Comme toujours, son jeu est spirituel, sa voix est sympathique. On regrette de ne pas lui voir prendre une plus grande part à l’action.

Nous avons dit que les rôles accessoires étaient prodigués dans cette pièce des Brigands. Quelques-uns méritent une mention honorable. Léonce, qui ne paraît qu’au troisième acte, est un caissier modèle. Il dit bien son monologue ; il est drôle dans sa scène avec Falsacapa, qui, cependant, gagnerait à être raccourcie.

Kopp est franchement comique dans son rôle du vieux bandit Pietro, et Daniel Bac, un nouveau venu, donne un cachet original à celui de l’ex-banquier Barbarano.

Quant à Baron, il a été tout simplement créé et mis au monde pour représenter le capitaine des carabiniers.

Lanjallay, qui vient des Bouffes-Parisiens, se tire convenablement du personnage ingrat du prince de Mantoue. Blondelet, Gourdon et Mlle Lucciani n’ont que des rôles insignifiants, où ils font preuve de zèle.

La direction des Variétés n’a rien épargné pour la mise en scène des Brigands. Les montagnes du premier acte sont des plus pittoresques, et les masses y sont habilement groupées. Les costumes sont variés et pleins de goût.

D.

[1Sic.

[2Sic.

[3Sic.

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