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Correspondance

Le Figaro – Jeudi 4 août 1864

Étretat, ce 24 juillet 1864.

Mon cher Villemessant,

Me voilà revenu à notre joli Étretat après avoir passé tout un mois à Ems. J’avoue que j’ai pour Ems une prédilection toute particulière j’y puise à la fois la santé et une certaine inspiration. C’est à Ems que j’ai fait une partie d’Orphée, un peu de Fortunio, et beaucoup des Bavards vous voyez que j’ai raison d’aimer ce charmant pays. Puis Ems me plaît aussi par la simplicité qui y règne encore. Ems est un peu aux eaux de Baden, de Wiesbaden et Hombourg, ce que Etretat est à Trouville, Dieppe, Cabourg, etc. ; le luxe ni les jeunes personnes sans ouvrage ne l’ont pas encore trop envahi.

Notre ami Briguiboul, l’oncle du jeune et déjà remarquable peintre de ce nom, y tient le sceptre des plaisirs. – Bals, concerts, spectacles, tout s’y trouve ; l’opérette, comme les années précédentes, y jouit d’une grande faveur. Avec le répertoire si varié de ce genre de spectacle, Ems a eu aussi deux primeurs : l’une, le Soldat magicien ou le Fifre enchanté, l’autre, Jeanne qui pleure et Jean qui rit ont obtenu un vrai et un grand succès. Il ne me sied pas, étant très lié avec le compositeur, de vous dire tout ce qu’il y a de charmant et de mélodique dans ces deux partitions ce qui m’est permis de dire (d’ailleurs c’est de l’histoire), c’est que, dans chaque opérette, deux morceaux ont été bissés avec enthousiasme, que l’hiver prochain tout Paris dansera comme un enragé sur ces motifs, et que les airs seront immédiatement sur tous les pianos, – phrases consacrées et clichées à l’avance.

Ce que je puis dire aussi en toute conscience, c’est que l’exécution a été merveilleuse. Mesdames Albrecht, Estagel et Taffarnel ont été adorables dans les deux pièces. Désiré a été renversant, Jean-Paul étourdissant, Guyot et Pelva charmants.

Faut-il vous dire aussi que l’émotion a été grande l’autre jour parmi les baigneurs, à propos du trenle-et-quarante. On m’apprend, un après-dîner, qu’un monsieur venait de gagner 50,000 fr. ; à la façon dont on me dépeignit la personne, je ne doute pas un instant que cela ne soit ou Prével ou Koning. D’ailleurs, connaissant leurs façons de jouer, je pensais qu’il n’y avait qu’eux seuls capables de risquer le maximum à chaque coup (le maximum n’étant que de six mille francs) ; je m’acheminais donc avec un battement de cœur facile à comprendre vers la Banque. – Oh déception ! – ce n’était ni Prével ni Koning qui gagnait, – au contraire, – c’était une personne inconnue à tout le monde, et qui, le soir même, est repartie pour Wiesbaden, emportant de la Banque d’Ems 140,000 fr. ; – une bagatelle.

J’ai l’honneur d’être votre tout dévoué,

Jacques Offenbach.

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