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Correspondance

Revue et gazette musicale de Paris – 8 août 1869

Les Bouffes-Parisiens viennent de clore la série de leurs brillantes représentations par la Princesse de Trébizonde, cet opéra-bouffe qu’Offenbach a spécialement écrit pour le théâtre de Bade, sur un livret de MM. Nuitter et Tréfeu, et qui appartient à un genre mixte mariant le sentiment au comique le plus accentué.

Le maëstro dirigeait lui-même, avec l’autorité qu’on connaît, l’exécution de son œuvre. Elle a remporté le plus franc succès ; applaudissements, acclamations, rappels ont suivi Offenbach du dedans au dehors de la salle.

La pièce n’a rien emprunté au roman de chevalerie qui porte le même titre dans le recueil de la Bibliothèque bleue de l’Arsenal. Il ne s’agit pas ici d’un prince Charmant poursuivant, à travers mille aventures et autant de magiciens, une jeune princesse entrevue en rêve ; mais bien d’une poupée — un peu parente de celle que l’esprit d’Adolphe Adam rapporta de Nuremberg — d’une poupée de cire, autour de laquelle s’agite, se démène bien plutôt toute l’action.

Messire Cabriolo, saltimbanque éminent, a acheté une gentilhommière avec l’argent du gros lot, par lui gagné à la loterie milanaise. Entouré de sa sœur et de ses deux filles, servi par un pitre fidèle dont il a fait son factotum, il joue au hobereau et ne s’en trouve pas plus heureux pour cela. Il bâille, s’ennuie, et regrette l’habitude de soulever des poids, d’arracher des dents, de montrer des figures de cire. Soudain, le cor résonne, et dans la solitude de Cabriolo font irruption le prince Casimir, un puissant voisin, flanqué de Sparadra, précepteur de son fils. Ils cherchent le jeune prince que l’on a vu entrer chez Cabriolo, en s’écriant : « Elle est ici, ma princesse de Trébizonde ! » C’est que ce dadais-là, à sa première visite chez le saltimbanque-baron, s’est énamouré de sa fille Zanetta, qui avait pris ce jour-là, pour n’être pas grondée, le costume et l’allure de la fameuse princesse, une poupée de cire (souvenir du musée paternel) dont elle venait de détériorer le nez. Sparadra fait accroire au prince Casimir que les amours de son fils sont bien réellement de cire ; grâce à ce subterfuge, que je ne me permettrai pas de qualifier d’ingénieux, les relations des deux amoureux continuent et se terminent prosaïquement par un honnête mariage.

Le premier acte est très-gai et très-amusant ; le second lui est inférieur, et le poëme devra indispensablement recevoir des modifications pour être représenté à Paris ; comme la distribution des rôles en subira également, il ne sera guère possible de le juger en toute connaissance de cause que lorsqu’il fera son apparition sur la scène des Bouffes.

Un entrain soutenu, une verve communicative, une grande richesse d’harmonie et surtout une orchestration particulièrement soignée, caractérisent la partition de la Princesse de Trébizonde. L’ouverture, qui résume habilement les motifs saillants de l’ouvrage, a provoqué deux salves d’applaudissements. Après le chœur des Vassaux, bien écrit et sonore, viennent les cojplels de Zanetta, qui ne sont pas cependant une des meilleures choses de l’ouvrage. Un bon morceau, c’est le duo entre l’ancien saltimbanque et son pitre : ils font tous deux tourner des assiettes sur un bâton, et l’effet imitatif de l’orchestre est ingénieux. Très-bon également le duo des deux amoureux : Zanetta teint d’abord d’être de cire et peu à peu elle se fond aux accents passionnés de Raphaël. Je préfère cette page à la romance du jeune prince, qui a généralement paru faible.

Le finale comprend un chœur de chasse très-écourté, un octuor, original de rhythme, la ronde très-réussie de la Princesse de Trébizonde, qui a élé bissée et un bruyant galop. Au dernier accord tous les artistes étaient rappelés et Offenbach devait paraître sur la scène aux acclamations du public.

Le second acte, moins surchargé, s’ouvre par un air piquant du prince Casimir, qui est d’avis que lorsqu’un souverain est satisfait, tout le monde l’est, et que le bonheur devient ainsi général. Le morceau qui suit, dit du Mal de dents, est moins bien venu. On en peut dire autant du duettino entre Haphaël et Zanetta : Quand un papa part. La Marche des pages,— charmant et distingué chœur de femmes, — a été bissée avec autant de justice que de chaleur. Le sextuor des Melons, une Valse, entraînante et la reprise de la Ronde comme couplets au public, complètent les numéros du second acte, qui, sans valoir le premier, eu est, toutefois, l’estimable pendant. Il s’est également terminé au feu des rappels et des ovations.

Sans doute, l’exécution a laissé à désirer dans quelques parties. Il faut tenir compte de la précipitation avec laquelle cet opéra-bouffe a été monté. Les répétitions se suivaient jusqu’à trois fois dans une journée. Mlle Périer a eu, dans le rôle de Raphaël, un succès de voix et de costume. La joli Mlle Konti a bien chanté et bien joué Zanetta. Mlles Bonelli et Raymonde ont été non moins goûtées. MM. Georges et Lanjallais ont été des plus amusants en Sparadra et prince Casimir ; Bonnet restera le meilleur et le plus fidèle des Tremolini. Quant à Désiré, il tient dans Cabriolo une création dont on parlera cet hiver à Paris.

La salle, composée de tout ce que nous avons ici de plus brillant et de plus reluisant.— diamant et strass, —resplendissait de toilettes. La presse était représentée par les principaux organes de Paris, des départements de l’Est, de Berlin, etc. Cette soirée, dont les suivantes ont reproduit l’éclat et confirmé le succès, sera certainement une des plus marquantes de la saison, pour laquelle M. Dupressoir a véritablement fait des prodiges d’intelligence, d’activité et d’argent.

A peine les représentations des Bouffes se terminaient-elles que déjà les splendides concerts recommençaient. Hier, avait lieu le second dans lequel on a entendu pour le chant, Mlles Marie Battu et Mina Schmidt. Léonard nous a fait admirer son beau concerto et ses Souvenirs de Haydn. Mlle Hélène Hermann, une jeune harpiste de talent, a joué sur un bel instrument d’Erard une étude de Parish-Alvars. Quant à M. et Mme Jaëll, ils sont trop connus tous deux à Paris pour que l’on doute du brillant effet qu’ils ont produit à Bade. Mlle Battu a chanté avec sa délicieuse méthode l’air de Faust, le duo du Stabat et un bolero, la Sévillana, qui lui ont valu comme partout les applaudissements les plus enthousiastes. Il est important de vous parler d’une excellente élève de Duprez, Mlle Schmidt qui, toute jeune encore, réunit à un superbe contralto une chaleureuse et belle exécution ; c’est elle qui a eu en grande partie les honneurs du concert. L’illustre Bottesini a dirigé l’orchestre et nous a fait entendre une nouvelle ouverture de sa composition, l’Etoile de Bade qu’on a vivement applaudie ; la semaine prochaine aura lieu le troisième concert.

M. S.

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