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La Soirée Théâtrale – L’opérette est-elle morte ?

Le Figaro – Mercredi 17 novembre 1875

Je reçois de province plusieurs lettres contenant toutes cette question :

« Est-il vrai, oui ou non, que l’opérette soit morte ? »

Il paraît que les départements s’intéressent énormément au sort d’un genre dont M. Francisque Sarcey vient d’annoncer officiellement le trépas.

Hâtons-nous de les rassurer.

Non, l’opérette n’est pas morte.

C’est une fausse nouvelle que fait courir un feuilletonniste furieux de s’être ennuyé au Pompon.

Et d’abord, examinons le cas particulier de M. Sarcey.

Le critique du Temps – j’ai déjà eu l’occasion de le prouver adore l’opérette, mais n’en veut pas avoir l’air. Il prône en ce moment la résurrection du drame historique et héroïque, oubliant complétement que l’an dernier, à pareille époque, la Gaîté ayant représenté la Haine, ce drame admirable qui restera l’une des plus belles œuvres de Sardou, il ne put résumer ses impressions que par ces mots :

« Je me suis ennuyé ferme ! »

La campagne qu’il entreprend aujourd’hui est donc peu sérieuse.

Mais, sans défendre l’opérette, à laquelle nous ne nous intéressons pas autrement, nous tenons, au nom du bon sens, à affirmer ceci :

L’opérette n’est pas morte parce que les genres ne meurent pas.

Il n’y a pas de genres mauvais, il n’y a que de mauvaises pièces.

On oublie trop souvent que les directions théâtrales sont des entreprises commerciales. C’est même pour cela qu’elles sont généralement entre les mains d’anciens charbonniers.

Toutes les fois qu’un artiste, un écrivain, un compositeur a eu la malencontreuse idée de faire concurrence aux charbonniers, il a fini par la ruine ou par la faillite.

Les commerçants n’ont pas à se préoccuper des questions d’art. Ils ont, avant tout, à satisfaire leur clientèle. Cette clientèle a des goûts différents. Elle aime rue Richelieu ce qu’elle exècre boulevard Montmartre. Ainsi le Figaro a, parmi ses lecteurs, les gens graves qui commencent le journal par les articles de M. Saint-Genest et les frivoles qui vont d’abord aux échos de Paris ou aux racontars des coulisses. On veut rire aux Variétés et pleurer à l’Ambigu. Que le directeur des Variétés joue un vaudeville ou une opérette, que le directeur de l’Ambigu joue un drame bourgeois ou un drame héroïque, cela nous est égal pourvu que le vaudeville ou l’opérette, nous amusent et que le drame nous intéresse !

Au point de vue des commerçants qui dirigent nos théâtres, la bonne pièce c’est la pièce qui fait de l’argent, la mauvaise pièce celle qui n’en fait pas.

L’Œil crevé est une insanité ridicule aux yeux des sociétaires de la Comédie-Française, mais c’est un chef-d’œuvre pour le directeur des Folies-Dramatiques.

Ce même directeur pourra, comme homme privé, apprécier le Misanthrope selon son mérite, il se gardera bien de le jouer.

Il est donc absurde de parler du Misanthrope à propos de la Boulangère a des écus ou de rappeler, parce que Chivot et Duru ont fait une mauvaise opérette, que Duvert et Lausanne ont fait des chefs-d’œuvre.

Comparer n’est pas critiquer.

L’opérette n’a pas empêché Dumas de faire le Demi-Monde, ni Sardou d’écrire Patrie, ni Augier de nous donner les Effrontés. On applaudissait en même temps la Belle Hélène et le Fils de Giboyer. M. Prudhomme seul ose encore affirmer que l’opérette est un genre démoralisateur et qu’Offenbach a exercé une influence funeste sur l’art dramatique.

M. Sarcey, dans son dernier feuilleton, prête les paroles suivantes à Meilhac :

« C’est un métier absurde que nous faisons là ; j’en suis dégoûté, et une fois que j’aurai rempli le dernier engagement que j’ai eu l’imprudence de signer, je me retirerai de ce genre usé ! »

Voilà une sortie qui laisse percer une pointe de dépit dont je ne veux même pas rechercher la cause. Il est évident qu’au lendemain de la Vie Parisienne, M. Meilhac n’a pas dû s’exprimer ainsi.

Encore une fois, il n’y a pas de genre usé ; il n’y a que des auteurs usés qui nous servent des pièces usées.

Si toutes les opérettes de cette année étaient tombées à plat, cela ne prouverait nullement que l’opérette soit morte, cela prouverait que les opérettes étaient mauvaises, voilà tout.

La Grande Duchesse aurait eu le même succès éclatant du temps de Duvert et Lausanne qu’en 1867 ; l’Homme blasé aurait encore aujourd’hui cent cinquante représentations.

Un Monsieur de l’orchestre.

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