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Les Bouffes-Parisiens

Le Figaro – Samedi 3 août 1867

Réouverture. – Quatre pièces nouvelles.

La réouverture des Bouffes ressemblait à l’ouverture d’un testament. On sentait que quelqu’un était mort. Les contrôleurs avaient l’air sérieux de gens qui ne savent pas encore s’ils hériteront, et qui dissimulant leur inquiétude ; on s’abordait dans les couloirs en se serrant la main d’une façon significative : – Pauvre Orphée ! malheureux Croquefer où sont-ils ? Et on les cherchait, ces fantômes grotesques devenus attendissants [1] par le souvenir. Les musiciens étaient des clercs de notaire, et le chef d’orchestre remplissait les fonctions de juge de paix.

Quand tout le monde fut réuni, ou à peu près, la lecture funèbre commença. Le premier article s’appelait le Chemin des amoureux. Il y eut un frémissement dans la salle !

Un dernier refrain de la chanson de Fortunio, resté accroché dans un angle, battit de l’aile et voulut s’envoler ; ce papillon se laissait prendre à la fausse lumière d’un titre ; il retomba bientôt, découragé, meurtri : le Chemin des amoureux, triste, lent, monotone, n’avait pas d’oiseaux dans les buissons, ni de fleurettes au bord du fossé. Décidément, Fortunio était mort, et ce Chemin des amoureux semblait un avant-goût du sinistre chemin de fer que la prévoyance municipale de Paris prépare aux convois de l’avenir, avec cette seule différence que celui-ci revenait de Pontoise et n’y conduisait pas.

C’était l’éternelle histoire d’une honnête femme prise pour une biche, à cause de l’appartement qu’elle occupe et d’un quiproquo résultant des familiarités d’un amoureux pourvu de la clef du petit escalier. Quand cette première pièce fut finie, un soupir glacial trahit le désappointement attendu. Pas de legs, pas d’héritage, gros ou petit !

On chercha dans la pharmacie du testateur mais M. Sidoine, l’apothicaire, eut beau se démener, se costumer en Léonidas, on ne découvrit aucune poudre à gratter, aucun médicament de nature à réjouir. Les instruments de M. de Pourceaugnac eux-mêmes ne servaient plus.

En vain M. Chivot avait exigé que le rôle de Sidoine fût joué par Ch. Pérey, en vain M. Duru, son collaborateur, s’était félicité de cette distribution ; le Pharmacien aux Thermopyles fut regardé comme ces lithographies passées de mode, que les portiers eux-mêmes refusent, depuis qu’ils sont concierges. Le legs important n’était pas là.

Pendant quelques minutes on eut l’espérance que le gros lot se trouverait dans le paragraphe ayant pour titre ; l’Homme à la mode... de Caen. Il s’agissait d’ailleurs d’une rivière en diamants mise en gage par madame Landerneau pour obliger un cousin dans l’embarras ; on jouait un baccarat effréné ; Lacombe représentait un paysan, un provincial habillé à la mode... de Caen, s’élançant à travers des salons pleins de lumière pour y faire ses premières armes de séducteur ; le style devenait gai les plaisanteries s’annonçaient équivoques et salées : on allait rire ; on riait déjà ; Jules Moineaux faisait oublier le rossignol d’Offenbach ; le juge de paix regardait les clercs de notaire pour leur dire.

– Enfin, nous savons bien qu’il y avait un trésor ! – Mais l’ explosion n’eut pas lieu ; le trésor était un faux trésor ; les diamants se changeaient en cailloux du Rhin ; on applaudit pour encourager l’auteur des Deux Aveugles ; mais ce fut tout, la mystification continua, et il fut bien prouvé, après le Chic au Village, que décidément les anciens bouffes n’avaient ni héritages ; ni héritiers.

La censure qui a bien l’âme la plus candide et la pudeur la plus raffinée, n’avait pas permis, assure-t-on, que l’on intitulât cette pièce : on demande des Biches ! on autorisa seulement le Chic au Village. On avait peur du salpêtre que contenaient des noms comme ceux de Cocardant ; de Dégourdi. Bonne censure ! doit-elle être rassurée maintenant ce fut la partie la plus lugubre ; Cocardaut ne rêve que cocottes et Madeleine, l’ange du foyer revêt un costume de baladine pour séduire et pour dégriser ensuite Cocardaut.

Tout finit par un cancan et par une imprudente évocation de Bu qui s’avance. Chanter un air d’Offenbach dans cette salle qui se lamente de ne plus entendre celui-ci, c’était une provocation téméraire. Mais les témoins, fatigués de ce testament en quatre actes, étaient partis ; ceux qui restaient, absorbés dans une somnolence commode, ne pouvaient protester. Tout s’acheva en silence. Le juge de paix fit signe aux clercs de notaire d’emporter leurs instruments et leurs petits cercueils. La nuit succéda à l’ennui, et M. Sothern, en quittant sa solitude voisine, put se consoler et écouter le murmure que faisait dans le silence de la rue Monsigny le pompier de service versant ses larmes dans son casque et pleurant la fuite de Vénus, de Cupidon, d’Orphée, de Croquefer. Lugete veneres ! Quant à la direction du théâtre du Palais-Royal, elle doit bien rire.

L. Ulbach.

[1sic

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